Dans un arrêt destiné à publication (6B_1266/2020 du 25 avril 2022), dans lequel notre Étude a officié en défense de la prévenue, le Tribunal fédéral rappelle sa jurisprudence constante en matière de qualité de partie plaignante des proches du lésé en cas de transmission des droits par succession (art. 121 al. 1 CPP).
A/ LES FAITS
Par jugement du tribunal de première instance, D. a été libérée des infractions d’usure par métier, subsidiairement de vol par métier et d’escroquerie par métier. Les conclusions civiles de A. ont été rejetées.
A. dépose une déclaration d’appel le 24 décembre 2019, puis décède.
Les nièces et neveu de A. se sont donc constitués partie plaignante, en qualité de proches du lésé décédé, par transmission des droits (art. 121 al. 1 CPP).
Alors que la prévenue soutenait que l’appel était irrecevable du fait du décès de la partie plaignante et de l’absence de proches au sens de l’art. 121 al. 1 CPP, l’autorité cantonale est entrée en matière sur l’appel. Elle n’a toutefois pas examiné la question de la validité de la transmission des droits aux proches du lésé, mais a confirmé l’acquittement de D. sur la base des éléments du dossier.
Les héritiers forment un recours au Tribunal fédéral.
La problématique de cet arrêt est la suivante : l’art. 121 al. 1 CPP dispose que les droits du lésé passent à ses proches au sens de l’art. 110 al. 1 CP, dans l’ordre de succession. Mais que se passe-t-il lorsque les héritiers du lésé ne sont pas des proches au sens de l’art. 110 al. 1 CP ?
B/ LE DROIT
Pour pouvoir former un recours devant le Tribunal fédéral, la partie plaignante doit notamment démontrer que la décision attaquée peut avoir des effets sur le jugement des prétentions civiles (art. 81 al. 1 let. a et b ch. 5 LTF). Encore faut-il disposer de la qualité de partie plaignante.
Tout d’abord, le Tribunal fédéral rappelle que pour se constituer partie plaignante au sens de l’art. 118 al. 1 CPP, il faut être lésé au sens de l’art. 115 CPP. Le lésé correspond à la personne dont les droits ont été directement touchés par l’infraction (ATF 141 IV 1).
Les héritiers d’une personne physique ou morale lésée ne sont touchés dans leurs droits que de manière indirecte et ne peuvent pas en principe se voir reconnaître la qualité de partie plaignante. L’art. 121 al. 1 CPP constitue une exception à ce principe et permet aux proches du lésé au sens de l’art. 110 CP de se voir attribuer les droits conférés par la qualité de partie plaignante (ATF 146 IV 76 consid. 2.2.1 ; ATF 140 IV 162 consid. 4.4).
La notion de proche est réglée de manière exhaustive à l’art. 110 CP et doit faire l’objet d’une interprétation restrictive selon le Tribunal fédéral (TF 6B_549/2013 du 24 février 2012, consid. 3.2.1) (consid. 3.1 de l’arrêt commenté). La notion de proches englobe le conjoint, le partenaire enregistré, les parents en ligne directe, les frères et sœurs germains, consanguins ou utérins ainsi que les parents, frères et sœurs et enfants adoptifs.
De la sorte, les héritiers du de cujus ne sont pas tous englobés dans la notion de proches de l’art. 110 CP. Pour résumer, le Tribunal fédéral retient que « la transmission des droits procéduraux selon l’art. 121 al. 1 CPP et la titularité matérielle des droits dans la succession ne se recoupent pas nécessairement » (TF 6B_27/2014 du 10 avril 2014) (consid. 3.1 de l’arrêt commenté).
Le Tribunal fédéral rappelle que la réglementation claire, détaillée et exhaustive de l’art. 121 al. 1 CPP exclut de la qualité de partie plaignante les héritiers du lésé de rang inférieur et en a déduit qu’il n’y avait pas de lacune (proprement dite) de la loi (ATF 140 IV 162 consid. 4.9.6).
En l’espèce, les nièces et les neveux de A. sont les héritiers légaux en vertu de l’art. 459 CC et ont acquis de plein droit l’universalité de la succession de A. (art. 560 al. 1 CC). Néanmoins, ils ne disposent pas de la qualité de proches au sens de l’art. 121 al. 1 CP cum art. 110 CP.
A rigueur de texte, les nièces et les neveux de A. ne disposant pas de la qualité de proches, malgré leur statut d’héritiers, ils ne peuvent pas se voir reconnaître la qualité de partie plaignante par transmission des droits selon l’art. 121 al. 1 CPP (partie plaignante par succession).
La doctrine s’est montrée critique à l’égard de cette approche.
En effet, l’hoirie doit agir conjointement, dans le cadre d’une consorité nécessaire, pour faire valoir ses prétentions civiles dans le cadre du procès pénal par la voie de l’action civile adhésive (art. 122 al. 1 CPP) (ATF 142 IV 82). Selon le texte de la loi, il suffirait ainsi que l’un des héritiers ne dispose pas de la qualité de proches pour que l’action civile adhésive soit exclue et que les héritiers se retrouvent contraints d’agir par la voie civile. Une partie de la doctrine propose dès lors que, lorsque l’hoirie se compose d’héritiers qui sont des proches au sens de l’art. 110 CP et d’héritiers qui ne satisfont pas à cette exigence, de faire une exception à l’exigence de la qualité de proche afin de permettre à l’hoirie de former une consorité nécessaire dans le but d’exercer une prétention commune.
Mais le Tribunal fédéral constate que la disposition de l’art. 121 al. 1 CPP est exhaustive et qu’il n’existe pas de lacune proprement dite. La doctrine précitée n’invoque aucune circonstance qui aurait évolué ou que le Tribunal fédéral aurait ignorée à tort depuis l’ATF 140 IV 162 (consid. 3.7) qui appellerait à un revirement de jurisprudence. Toutefois, la proposition doctrinale d’admettre l’action adhésive civile, lorsqu’une partie des héritiers dispose de la qualité de proches mais l’autre pas, ne semble pas définitivement écartée par le Tribunal fédéral, car dans le cas d’espèce, aucun des héritiers ne disposait de la qualité de proches au sens de l’art. 110 CP.
Dans un obiter dictum, le Tribunal fédéral se pose encore la question de savoir si la succession pour cause de mort pourrait être considérée comme un cas de subrogation légale au sens de l’art. 121 al. 2 CPP. Dans cette configuration, les héritiers pourraient se prévaloir uniquement des droits de procédure qui se rapportent aux conclusions civiles, ce qui laisserait entrevoir une action civile adhésive dans l’hypothèse où certains héritiers ne disposeraient pas de la qualité de proches. En revanche, l’art. 121 al. 2 CPP se réfère exclusivement aux conclusions civiles à l’exclusion d’une participation en tant que demandeur au pénal. Notre Haute Cour ne tranche pas cette question, constatant que les recourants s’en prennent à l’acquittement de D., ce qu’ils ne sont pas autorisés à faire dans le cadre de l’art. 121 al. 2 CPP.
En définitive, l’appel de la plaignante décédée, repris par ses héritiers “non-proches”, était bel et bien irrecevable. De même, faute de disposer de la qualité pour recourir au sens de l’art. 81 al. 1 ch. 5 et 6 LTF, le recours fédéral est également irrecevable.
Point final pour cette affaire.
Mais point-virgule pour les questions – passionnantes – laissées encore ouvertes par le Tribunal fédéral en fait de successions de parties plaignantes.
A suivre donc …