En faveur d’un recourant que nous défendons, le Tribunal fédéral tranche une question de droit matériel particulièrement intéressante. C’est un arrêt 6B_981/2019 : quand commence une tentative ?
Ici, l’auteur avait envoyé des messages à deux jeunes femmes dans le but d’entretenir des relations sexuelles avec elles. Parce qu’il leur avait fait craindre par ces messages de diffuser des nudes et sextapes les concernant si elles ne venaient pas au rendez-vous, la Cour d’appel cantonale l’avait condamné pour tentative de contrainte sexuelle et tentative de viol.
Mais l’envoi de messages (sms, whats’app, Messenger, …) est-il déjà une tentative de commettre l’infraction de viol ? Correspond-il au “point de non-retour” à partir duquel on peut parler, en droit, du début de l’exécution de l’infraction ?
Non pour la défense. Et – finalement – non pour le Tribunal fédéral. Ci-après le raisonnement in extenso notre Haute Cour sur cette question :
” Le recourant conteste sa condamnation pour tentative de viol et de contrainte sexuelle en lien avec l’envoi de messages.
3.1. Il y a tentative si l’exécution d’un crime ou d’un délit n’est pas poursuivie jusqu’à son terme ou que le résultat nécessaire à la consommation de l’infraction ne se produit pas ou ne pouvait pas se produire (art. 22 CP). La tentative commence dès que l’auteur accomplit l’acte qui, dans son esprit, constitue la démarche ultime et décisive vers la commission de l’infraction et après laquelle on ne revient normalement plus en arrière (ATF 131 IV 100 consid. 7.2.1 p. 103 s.). Le seuil à partir duquel il y a tentative doit être proche de la réalisation proprement dite de l’infraction, à la fois dans le temps et dans l’espace (ATF 131 IV 100 consid. 8.2 p. 105 s.). En cas de viol, le seuil de la tentative est dépassé lorsque l’auteur commence à créer une situation de contrainte (ATF 119 IV consid. 2 p. 227). Il y a ainsi tentative lorsque l’auteur tente de baisser le pantalon de sa victime (arrêt 6S.239/2000 du 30 août 2000 consid. 2c).
3.2. Le 2 février 2017, le recourant a envoyé des messages à C.________ pour obtenir d’autres rapports sexuels vaginaux et anaux avec lui, en menaçant de diffuser les photos d’elle ou de s’en prendre à elle physiquement, à ses amis ou à son fiancé. Grâce à l’intervention du mari d’une amie, le recourant n’a pas réussi à parvenir à ses fins. Il a également tenté d’obtenir, toujours selon le même procédé, des sodomies au préjudice de B.________, ce que celle-ci a refusé. Il doit exister une certaine relation temporelle entre l’acte et la pression, en ce sens que la pression doit être exercée peu avant l’acte ou au moment de celui-ci (PHILIPP MAIER, op. cit., n° 30 ad art. 189 CP; SCHWAIBOLD, op. cit., p. 239). Le simple envoi de messages en vue d’entretenir des relations sexuelles et/ou des sodomies est trop éloigné de l’accomplissement de l’acte sexuel, dans le temps et dans l’espace, pour constituer le ” point de non-retour “, à partir duquel l’auteur ne revient normalement pas en arrière (cf. ATF 131 IV 100 consid. 8.1 p. 105). La proximité requise avec l’infraction n’étant pas suffisante, c’est donc à tort que la cour cantonale a retenu que le simple envoi des messages incriminés constituait déjà une tentative de viol et/ou de contrainte sexuelle. Le recours doit donc être admis sur ce point”
Au delà de cette question d’intérêt strictement juridique, cet arrêt – qui donne raison au recourant sur d’autres points encore (l’arbitraire répété des instances inférieures, cf. consid. 2.6 et 2.8) – donne aussi du sens à l’essence de notre rôle de défenseurs, qui jalonne notre quotidien : l’importance de savoir se relever et redescendre dans l’arène malgré les échecs… souvent répétés.
Une bonne claque en première instance ? On se relève. Pour un direct du droit en Cour d’appel ? Mais on se relève. Car un beau jour le Tribunal fédéral tendra – peut-être – la main … de l’évidence. Et on peut alors s’asseoir.
Errare humanum est, perseverare diabolicum ?