L’article 30 de la Constitution fédérale suisse pose le principe suivant lequel : « Toute personne dont la cause doit être jugée dans une procédure judiciaire a droit à ce que sa cause soit portée devant un tribunal établi par la loi, compétent, indépendant et impartial. Les tribunaux d’exception sont interdits ».
Cette disposition consacre ainsi en droit suisse un principe fondateur de l’Etat de droit, ancré à l’art. 6 de la Convention européenne des droits de l’homme : l’autorité de jugement doit être impartiale.
En procédure pénale suisse, ce principe a pour corollaire la possibilité de demander la récusation des autorités chargées de poursuivre et de juger lorsque celles-ci ne fournissent pas les garanties suffisantes d’impartialité. Ainsi, selon l’art. 56 let. f du Code de procédure pénale suisse (CPP), la récusation d’un magistrat peut être demandée « lorsque d’autres motifs, notamment un rapport d’amitié étroit ou d’inimitié avec une partie ou son conseil, sont de nature à le rendre suspect de prévention ». Pour prononcer une récusation sur cette base, il suffit que les circonstances donnent l’apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération. Ainsi, les impressions purement individuelles d’une des parties au procès ne sont pas décisives.
Dans un arrêt du 5 septembre 2019, 1B_310/2019, le Tribunal fédéral admet le recours d’un prévenu qui demandait la récusation de deux magistrats de la Cour pénale du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel (ci-après la Cour d’appel), mais qui se l’était vue refuser.
Préalablement, soit le 20 décembre 2018, le prévenu avait déjà été condamné notamment pour infraction à la Loi fédérale sur les stupéfiants par cette même Cour d’appel. Il avait alors recouru au Tribunal fédéra. Il invoquait, entre autres griefs, le fait qu’il n’avait pas été entendu sur les accusations de trafic de stupéfiants par la Cour d’appel. Ainsi, le 29 mars 2019, Tribunal fédéral avait admis le recours du prévenu sur ce point. Le Tribunal fédéral avait ainsi renvoyé le dossier à la Cour d’appel pour que celle-ci « conduise de nouveaux débats d’appel conformes au droit fédéral” en précisant qu’il “appartiendra à l’autorité cantonale de déterminer l’ampleur que devra revêtir l’interrogatoire, au regard des preuves administrées pendant la procédure préliminaire et la procédure de première instance ».
Problème pour le prévenu : son dossier devait être renvoyé vers la même Cour qui l’avait condamné en 2ème instance, composée des mêmes magistrats. Or, pour le prévenu, les magistrats de la Cour d’appel avaient déjà forgé leur intime conviction quant à la crédibilité de ses déclarations et sur sa culpabilité. De ce fait, son interrogatoire plus détaillé par la Cour pénale n’aurait été qu’un « exercice formel vide de sens ». Sur ce point, le prévenu se référait aux « termes forts » utilisés dans le jugement d’appel du 20 décembre 2018, tels que notamment : « ses premières déclarations […] ne sont guère crédibles » ou « sa deuxième tentative pour expliquer […] n’est pas plus convaincante que la première ». Le prévenu avait dès lors demandé la récusation des juges cantonaux qui avaient déjà statué dans le cadre de la précédente procédure d’appel. Sa requête de récusation ayant été rejetée, le prévenu avait à nouveau recouru auprès du Tribunal fédéral.
Le Tribunal fédéral rappelle ainsi dans un premier temps que la procédure de récusation n’est pas la voie à suivre pour contester les « termes forts » employés par la Cour cantonale dans son jugement du 20 décembre 2018 : « Dans le cadre d’une procédure de récusation, on ne saurait donc en principe reprocher aux juges intimés d’avoir effectué un examen entrant dans le cadre des tâches leur incombant, respectivement d’avoir écarté, de manière motivée, la version avancée par le recourant, faute en l’espèce de crédibilité ».
Puis, le Tribunal fédéral se penche sur la prise de position écrite des magistrats de la Cour d’appel, déposée dans le cadre de la procédure de récusation. Lesdits magistrats s’étaient déterminés de la manière suivante : « A la lecture du jugement du 20 décembre 2018, on constate que les déclarations du prévenu ne sont pas le fondement de sa condamnation et que celle-ci repose très largement sur l’appréciation des autres moyens de preuves administrés ».
Cette seule détermination des magistrats de la Cour d’appel aura suffi pour faire naître une apparence de prévention aux yeux du Tribunal fédéral, qui retient dès lors ce qui suit :
« A teneur de la lettre de cette remarque, on comprend que la condamnation du recourant a pu être prononcée quasiment indépendamment des déclarations effectuées par celui-ci au cours de la procédure, puisque les autres moyens de preuve figurant au dossier suffisaient très largement pour établir sa culpabilité. Dans son arrêt de renvoi, le Tribunal fédéral n’a ordonné qu’une seule mesure d’instruction supplémentaire, soit l’audition du recourant par la juridiction d’appel afin qu’il puisse se prononcer sur l’accusation relative au trafic de stupéfiants, sur les résultats de la procédure préliminaire, ainsi que sur ceux de la procédure de première instance à cet égard (cf. arrêt 6B_155/2018 du 29 mars 2019 consid. 3.3). Le Tribunal fédéral n’a en revanche donné aucune autre instruction, notamment s’agissant de l’orientation à suivre lors de la confrontation du recourant à ces éléments de preuve et/ou de l’appréciation des preuves à effectuer par l’autorité d’appel. Vu ces circonstances particulières, le recourant peut dès lors légitimement craindre que ses futures déclarations devant la juridiction d’appel puissent n’avoir aucune réelle portée puisque sa culpabilité semble, de l’avis des juges concernés, pouvoir être établie sur la base d’autres éléments de preuve.
Au regard de ces éléments, les observations émises par les juges intimés peuvent donner l’apparence que l’issue de la cause s’agissant de la culpabilité du recourant en lien avec le trafic de stupéfiants reproché pourrait ne plus être indécise. Partant, la Cour de céans ne peut que constater que le refus de récuser les deux juges intimés viole le droit fédéral ».
Le recours est donc admis et la récusation des magistrats qui avaient participé à la procédure d’appel est ordonnée. Le dossier est dès lors renvoyé à la Cour pénale du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel pour qu’il soit enfin procédé à l’audition du recourant s’agissant de l’infraction à la Loi fédérale sur les stupéfiants.