Dans un arrêt 1B_230/2019 du 8 octobre 2019, le Tribunal fédéral harmonise sa jurisprudence sur la recevabilité des recours contre des ordonnances de disjonction.
La disjonction, c’est prendre une procédure instruite contre plusieurs prévenus et en faire deux ou plusieurs procédures distinctes, chacune visant un prévenu au moins. Exemple : les prévenus X et Y sont poursuivis dans le cadre de la procédure pénale n° 1. La direction de la procédure décide de disjoindre cette procédure. Il y aura désormais toujours la procédure n° 1 mais uniquement contre le prévenu X, ainsi qu’une nouvelle procédure n° 2, uniquement dirigée contre le prévenu Y.
Conséquence : Chacun des prévenus perd ses droits de partie dans la procédure de l’autre prévenu. Il n’a ainsi plus le droit d’accéder au dossier de la procédure concernant l’autre prévenu, plus le droit de participer aux actes d’instruction de cette procédure, de formuler des réquisitions, de recourir contre les décisions qui y seraient prises. Pour cette raison, la disjonction est souvent perçue et vécue comme une entrave aux droits de procédure fondamentaux des parties. A cela s’ajoute qu’elle porte atteinte et constitue une exception au principe de l’unité de la procédure consacré à l’art. 29 CPP.
La disjonction doit toutefois être prononcée par une décision et cette décision est donc – comme la plupart des décisions prises dans une procédure pénale – sujette à recours.
Mais les praticiens le savent, pour recourir au Tribunal fédéral contre une ordonnance de disjonction (décision préjudicielle), encore faut-il passer l’écueil de la recevabilité. Or, pour les décisions préjudicielles (qui règlent une ou plusieurs questions de fond ou de procédure), le recours au TF est recevable à la seule condition que la décision contestée cause une préjudice juridique irréparable au recourant. Ainsi, la disjonction ne peut souvent être contestée qu’au terme de la procédure et dans le cadre d’un recours portant sur le jugement final.
Sur cette base, le Tribunal fédéral a souvent soufflé le chaud et le froid concernant le préjudice irréparable causé par une décision de disjonction.
Dans son arrêt du 8 octobre 2019 le Tribunal fédéral unifie sa jurisprudence et reconnaît sans équivoque qu’une décision de disjonction est propre à causer un préjudice irréparable au motif que la disjonction des procédures (ou le refus de joindre des procédures pénales dirigées à l’encontre de plusieurs accusés) menace la personne concernée de désavantages procéduraux juridiques considérables. Ceux-ci découlent du fait qu’il perd ses droits de partie dans la procédure dirigée contre les coaccusés. En effet, il n’existe pour le prévenu aucun droit de participer à l’interrogatoire de l’autre accusé ou d’obtenir des preuves dans le cadre de l’enquête à laquelle le prévenu n’est plus partie. En outre, par la disjonction de la procédure, le prévenu perd également son droit à obtenir l’interdiction d’exploiter les preuves obtenues dans les autres procédures (art. 147 al. 4 CPP), car il ne peut faire valoir aucune violation de son droit de participer à la procédure :
“Bei der Verfahrenstrennung (bzw. der Verweigerung einer Vereinigung der Strafverfahren gegen mehrere beschuldigte Personen) drohen dem Betroffenen erhebliche prozessuale Rechtsnachteile. Diese ergeben sich daraus, dass er seine Parteirechte im Verfahren gegen die Mitbeschuldigten verliert. Denn es besteht kein gesetzlicher Anspruch auf Teilnahme an den Einvernahmen der anderen beschuldigten Person und an den weiteren Beweiserhebungen im eigenständigen Untersuchungs- oder Hauptverfahren (Art. 147 Abs. 1 StPO e contrario; BGE 140 IV 172 E. 1.2.3 S. 176). Durch eine Verfahrenstrennung geht so der beschuldigten Person bezogen auf Beweiserhebungen des anderen Verfahrens auch das Verwertungsverbot des Art. 147 Abs. 4 StPOverloren, weil sie insoweit keine Verletzung ihres Teilnahmerechts geltend machen kann (Urteil 1B_86/2015 vom 21. Juli 2015 E. 1.3.2 mit Hinweisen, in: Pra 2015 Nr. 89 S. 708).”
Ainsi, pour le tribunal fédéral, compte tenu de ces désavantages procéduraux juridiques considérables découlant d’une disjonction, il convient de permettre au prévenu de contester directement la disjonction ou le refus de jonction, et de reconnaître sur le principe la menace d’un préjudice irréparable dans ces hypothèses.
Cette unification d’une jurisprudence jusqu’ici incohérente est bienvenue.