Le Tribunal fédéral annule une décision de la Cour d’appel du Canton de Vaud qui prononçait l’expulsion d’un ressortissant Espagnol de 33 ans, né en Suisse, condamné pour brigandages.
Pour ce faire, le Tribunal fédéral procède à l’examen d’usage en deux temps : 1) existence d’une situation personnelle grave en cas de renvoi et 2) proportionnalité. Il retient les éléments suivants :
1. Situation personnelle grave en cas de renvoi
- Intégration en Suisse : Oui. Le recourant est né en Suisse et est bénéficiaire d’un permis d’établissement. Toute sa famille du recourant (ascendants et descendants) se trouve en Suisse, y compris ses deux enfants de 4 et 7 ans avec lesquels il exerçait jusqu’à son incarcération un droit de visite élargi « proche de la garde alternée ». Professionnellement, hormis une brève période de chômage de 6 mois précédent son incarcération, il a toujours travaillé parvenant à s’assumer financièrement
- Lien avec le pays d’origine : A l’exception de la langue, le recourant n’entretient aucun lien social ou familial avec son pays d’origine
2. Proportionnalité du renvoi
- Intérêt du recourant à demeurer en Suisse : Oui. Cf. ci-dessus « intégration en suisse » et « Liens avec le pays d’origine ». L’expulsion du recourant serait également difficile pour son entourage proche, en particulier ses enfants
- Intérêt de l’Etat à l’expulsion : Non. Le port d’une arme dont on ne fait pas usage n’est pas une infraction violente, de même que les menaces. Aucune des infractions faisant partie de ses antécédents n’aurait pu donner lieu à une expulsion pénale. Les brigandages qui ont valu sa condamnation ont été commis en qualité de coauteur et il ne l’ont pas été à son initiative. Son implication dans ces brigandages ne relève pas d’une extrême gravité quand bien même l’infraction est grave
Cette décision doit être saluée, car elle va au-delà des apparences et des catégories sur lesquelles les Juges pressés et routiniers sont trop souvent tentés de s’arrêter. Au contraire, elle fait la part belle aux nuances. Ainsi, alors que le recourant avait des antécédents, ce que bon nombre de Tribunaux auraient pris pour argent comptant afin de justifier l’intérêt de l’Etat à l’expulsion, le Tribunal fédéral va plus loin ; il analyse la nature de ces antécédents et distingue selon qu’ils auraient pu ou non donner lieu à une expulsion pénale. De même, alors que le recourant a été condamné en qualité de coauteur de brigandage – infraction grave – et que le droit suisse traite le coauteur à l’identique de l’auteur (soit celui qui « joue un rôle déterminant dans la prise de décision, planification ou exécution d’une infraction »), le Tribunal fédéral voit la nuance et analyse ici « l’implication dans l’infraction » de ce coauteur afin d’en relativiser la gravité.
Les perspectives de réinsertion du recourant après avoir purgé sa peine sont ainsi réelles et le cas de rigueur de l’art. 66a al. 2 CP est réalisé.
« Depuis la mollesse d’une éponge mouillée jusqu’à la dureté d’une pierre ponce, il y a des nuances infinies. Voilà l’homme » Honoré de Balzac, La peau de chagrin, 1831.
6B_209/2018 du 23 novembre 2018