Nous poursuivons notre rétrospective 2021 des arrêts notables. Aujourd’hui l’arrêt 1B_485/2021 du 26 novembre 2021, dans lequel le Tribunal fédéral a précisé l’étendue de la compétence de l’autorité de recours en cas de refus de retranchement de pièces et a ainsi condamné la pratique de certaines autorités de recours cantonale.
A/ Les faits et les arguments de la Chambre des recours pénale genevoise
Dans le cadre d’une instruction pour escroquerie et tentative d’escroquerie, le Ministère public genevois a refusé de retrancher des pièces du dossier.
L’autorité de recours cantonale a déclaré le recours contre cette décision irrecevable.
Dans sa décision, l’autorité cantonale a considéré que le prévenu ne disposait pas d’intérêt juridiquement protégé au sens de l’art. 382 al. 1 CPP à obtenir le retrait immédiat du dossier de ses déclarations à la police dès lors que le recours ne portait pas sur une violation de l’art. 140 CPP. Elle a fondé sa décision sur la jurisprudence du Tribunal fédéral relative à l’art. 93 LTF, selon laquelle le législateur avait exclu de vider les litiges relatifs aux preuves illégales avant le renvoi en justice du prévenu puisque cette question pouvait à nouveau être soulevée jusqu’à la clôture définitive de la procédure (ATF 144 IV 127 c. 1.3.1). Selon la Chambre pénale de recours, le même raisonnement s’impose en présence de preuves inexploitables au motif que le prévenu renvoyé en jugement peut soulever une question préjudicielle aux débats au sujet des moyens de preuve qu’il tiendrait pour illégaux.
Le prévenu a recouru au Tribunal fédéral et il a eu raison de le faire.
B/ Le droit
Le Tribunal fédéral commence par rappeler qu’il s’est déjà prononcé sur la pratique des autorités de dernière instance cantonale qui n’entraient pas en matière sur un recours au sens des art. 393 ss CPP contre une décision du ministère public refusant (ou acceptant) de retirer un moyen de preuve prétendument inexploitable, faute de préjudice irréparable ou d’intérêt juridiquement protégé et l’a qualifiée de contraire au droit fédéral (ATF 143 IV 475 c. 2).
Notre Haute rappelle cette jurisprudence et complète son raisonnement comme suit :
1) Le Tribunal fédéral relève que la compétence du juge du fond pour se prononcer sur l’exploitabilité des moyens de preuves recueillis ne permet pas de restreindre celle de l’autorité de recours.
A ce sujet, il rappelle que, dans le cadre de l’adoption du Code de procédure pénale, le législateur a souhaité renforcer les droits de la défense pour compenser les pouvoirs octroyés à l’autorité de poursuite pénale et a, dans cette optique, introduit le principe de l’universalité du recours dont le corollaire est le principe du double degré de juridiction cantonale. Toutes les décisions de procédure, qu’elles émanent du ministère public, de la police ou des autorités compétentes en matière de contraventions, doivent être susceptibles de recours (ATF 144 IV 81 c. 2.3.1). Le législateur n’a prévu que deux exceptions à cette règle, soit lorsque l’appel est recevable ou lorsque le ministère public, respectivement l’autorité compétente en matière de contraventions rejette une réquisition de preuve qui peut être répétée sans préjudice juridique devant le tribunal de première instance (art. 394 let. a et b CPP). Les ordonnances de refus de retirer du dossier des moyens de preuves prétendument inexploitables ne font pas partie de ces exceptions et rien ne permet de considérer que le législateur aurait souhaité le contraire.
2) Le Tribunal fédéral ajoute que, dans le cadre d’un recours contre un retranchement de pièces, l’examen auquel doit procéder l’autorité de recours ne doit pas être limité aux seules violations de l’art. 140 CPP !
En présence de preuves relativement inexploitables au sens de l’art. 141 al. 2 CPP, l’autorité de recours peut rejeter le recours, mais seulement après l’avoir examiné et être arrivé à la conclusion que le juge du fond sera plus à même d’examiner cette question à la lumière de l’ensemble des preuves, en particulier lorsqu’il convient de procéder à une pesée des intérêts et que le caractère inexploitable ne s’impose pas d’emblée.
Dans tous les cas, l’autorité de recours ne peut pas déclarer le recours irrecevable et elle doit au contraire se prononcer sur l’exploitabilité d’un moyen de preuve en fonction de l’état actuel de l’enquête.
3) Enfin, notre Haute cour rappelle que le Code de procédure pénale ne soumet pas l’admission d’un recours cantonal au sens des art. 393 ss CPP à l’existence d’un préjudice irréparable au sens de l’art. 93 LTF, mais uniquement à celle d’un intérêt juridiquement protégé.
En l’occurrence, le prévenu dispose manifestement d’un intérêt protégé général au retrait des moyens de preuves prétendument inexploitables du dossier. Il dispose aussi d’un intérêt au retrait rapide de ces preuves puisque celui-ci peut avoir des conséquences décisives sur les décisions que la direction de la procédure peut prendre et qui doivent être fondées sur des soupçons suffisants, notamment en matière de mesures de contrainte ou encore de mise en accusation.
C/ Conclusion
La décision du Tribunal fédéral aura certainement pour avantage d’uniformiser les pratiques des autorités de recours cantonales concernant la recevabilité des recours relatif à l’exploitabilité des moyens de preuve recueillis et le retranchement des preuves illégales du dossier.
Le Tribunal fédéral ne semble toutefois pas imposer aux défenseurs l’obligation de demander une décision concernant l’exploitabilité des moyens de preuves en cours d’enquête, respectivement leur imposer de recourir à l’encontre d’une décision de refus de retranchement d’une preuve en cours d’enquête. La défense doit pouvoir continuer à invoquer l’inexploitabilité des moyens de preuves dans le cadre de la procédure devant le tribunal de première instance. Il doit également pouvoir répéter ce moyen quand bien même l’autorité de recours aurait rejeté son recours en cours d’enquête.