Dans un arrêt 6B_262/2024 du 27 novembre 2024 destiné à publication, le Tribunal fédéral se penche sur la valeur probante accrue du formulaire de demande de crédit COVID-19.

Le 26 mars 2020, A. a transmis à la banque B. une demande de crédit COVID-19 d’un montant de CHF 500’000.00, en faveur de la société C. SA. dont il est l’administrateur et actionnaire unique. Le crédit a été accordé le 27 mars 2020. La cour cantonale a reproché à A. d’avoir confirmé de manière contraire à la vérité, en signant le formulaire de demande de crédit COVID-19, que la société C. SA se trouvait « substantiellement affectée sur le plan économique en raison de la pandémie COVID-19, notamment en ce qui concerne son chiffre d’affaires » mais aussi que le crédit serait exclusivement utilisé pour « couvrir ses besoins courants en liquidités ».

Est notamment coupable de faux dans les titres au sens de l’art. 251 CP, quiconque, dans le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d’autrui, ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, crée un titre faux, falsifie un titre, abuse de la signature ou de la marque à la main réelles d’autrui pour fabriquer un titre supposé, ou constate ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique, ou, pour tromper autrui, fait usage d’un tel titre.

Selon l’art. 110 al. 4 première phrase CP, sont des titres tous les écrits destinés et propres à prouver un fait ayant une portée juridique et tous les signes destinés à prouver un tel fait.

Le Tribunal fédéral rappelle que le caractère de titre d’un écrit est relatif. Par certains aspects, il peut avoir ce caractère, pour d’autres non. La destination et l’aptitude à prouver un fait précis d’un document peuvent résulter directement de la loi, des usages commerciaux ou du sens et de la nature dudit document (consid. 1.7.2). Notre Haute Cour rappelle encore la distinction entre un faux matériel et un faux intellectuel. Il y a faux matériel lorsque l’auteur réel du document ne correspond pas à l’auteur apparent, alors que le faux intellectuel vise un titre qui émane de son auteur apparent, mais dont le contenu ne correspond pas à la réalité. Le faux intellectuel est donc un titre mensonger, c’est-à-dire que son contenu est faux. Mais un simple mensonge écrit ne constitue pas un faux intellectuel. Le document doit revêtir une crédibilité accrue et son destinataire pouvoir s’y fier raisonnablement. Tel est le cas lorsque certaines assurances objectives garantissent aux tiers la véracité de la déclaration. Il peut s’agir, par exemple, d’un devoir de vérification qui incombe à l’auteur du document ou de l’existence de dispositions légales (consid. 1.7.6). La jurisprudence avait déjà retenu qu’aucune valeur probante accrue ne pouvait être tirée de déclarations unilatérales, faites dans le propre intérêt de celui qui les émet, par exemple des déclarations effectuées par un preneur de crédit aux instituts de crédit (ATF 144 IV 13 consid. 2.2.3).

En l’espèce, le Tribunal fédéral, en se fondant sur le caractère relatif du titre, précise qu’un document peut revêtir la qualité de titre sur certains aspects comme l’identité de son émetteur, mais non sur d’autres comme l’exactitude de son contenu. Le formulaire de demande de crédit COVID-19 constitue à l’évidence un titre au sens de l’art. 110 al. 4 CPP, dans la mesure où il prouve les déclarations et engagements juridiquement pertinents effectués par le preneur de crédit.

Ainsi, celui qui falsifie le formulaire ou imite la signature du preneur de crédit comme un faux matériel.

Toute autre est la question du faux intellectuel et de la valeur probante accrue de ce titre. Se fondant sur sa jurisprudence constante, notre Haute Cour constate que les déclarations du preneur de crédit émises dans son propre intérêt à des instituts de crédit ne bénéficient pas d’une valeur probante accrue. Il en irait de même pour le formulaire de demande de crédit COVID-19, et cela même si le formulaire constitue une convention de crédit dès son approbation. En effet, un tel contrat prouve que deux personnes ont fait, de manière concordante, une déclaration de volonté déterminée, mais n’établit pas que les deux manifestations de volonté concordantes correspondent à la volonté réelle des stipulants. Il ne prouve ni l’absence de vice de la volonté ni l’inexistence d’une simulation. Ce n’est que s’il existe des garanties spéciales de ce que les déclarations concordantes des parties correspondent à leur volonté réelle, qu’un contrat en la forme écrite simple peut être qualifié de faux intellectuel. En conséquence, le fait que le formulaire de demande de crédit COVID-19 entraîne la conclusion d’une convention de crédit ne permet pas de conclure que les déclarations y contenues doivent jouir d’une valeur probante accrue (consid. 1.9.2 et 1.9.3).

Le Tribunal fédéral tire un parallèle entre le formulaire de demande de crédit COVID-19 et une déclaration d’impôts. Les indications erronées contenues une déclaration d’impôts ne servent qu’à prouver les éléments à imposer, mais non l’exactitude de ses informations. Selon les Juges de Mon Repos, le législateur n’a pas voulu ériger le formulaire de demande de crédit COVID-19 en un écrit jouissant d’une crédibilité accrue. Le formulaire a bien plutôt, du fait de sa forme écrite, la fonction de preuve quant aux assurances contractuelles données par le preneur de crédit (consid. 1.9.2).

Notre Haute Cour rejette également l’avis d’une partie de la doctrine estimant que le formulaire de demande de crédit COVID-19 différerait d’un contrat de crédit usuel, en raison de la procédure d’auto-déclaration du preneur de crédit et de la nécessité pour les instituts de crédit de statuer en très peu de temps sur un grand nombre de demandes. Une extension générale du faux dans les titres aux assurances contractuelles aurait pour conséquence un transfert des litiges contractuels civils vers le droit pénal. Par ailleurs, l’adjonction contenue dans le formulaire selon laquelle le preneur de crédit confirme que les informations contenues dans la demande sont exhaustives et véridiques sont très répandues dans la conclusion de nombreux contrats sans pour autant que lesdites déclarations ne jouissent d’une valeur probante accrue. Tant qu’il n’existe pas une obligation de dire la vérité fondée sur la loi, la confirmation que les informations données correspondent à la vérité ne jouissent d’aucune garantie de véracité (consid. 1.9.3).

Enfin, le Tribunal fédéral rejette également la comparaison effectuée par la doctrine avec le formulaire A, considéré par la jurisprudence comme un titre avec une valeur probante accrue, car il repose sur une base légale ce qui est également le cas du formulaire de demande de crédit COVID-19. Il est objecté qu’une réglementation légale des conditions d’octroi du crédit COVID-19 était nécessaire. Toutefois, l’octroi de crédits par l’Etat ne permet pas de déduire en soi une valeur probante accrue des déclarations du preneur de crédit par rapport aux crédits purement privés.

Toutefois, le Tribunal fédéral nuance quelque peu son propos et constate que toutes les déclarations contenues dans le formulaire de demande de crédit COVID-19 ne sont pas de même nature. Le preneur de crédit devait notamment reproduire le chiffre d’affaires antérieur. Il devait en outre confirmer qu’aucun crédit COVID-19 n’a été obtenu auprès d’un autre institut de crédit ; qu’il avait été fondé avant le 1er mars 2020 ; qu’il n’était pas en faillite ; qu’il était substantiellement affecté sur le plan économique en raison de la pandémie COVID-19, notamment en ce qui concerne son chiffre d’affaires ; et qu’il n’avait pas obtenu d’autres garanties de liquidités. Le preneur de crédit prenait encore l’engagement d’utiliser le montant du crédit pour couvrir ses besoins courants de liquidité. Selon le Tribunal fédéral, ces informations et assurances données par le preneur de crédit n’auraient pas, dans leur ensemble, une valeur probante accrue (consid. 1.9.4).

En revanche, il analyse certaines des assurances données par le preneur de crédit. Le Tribunal fédéral nie ainsi la valeur probante accrue en ce qui concerne l’engagement d’utiliser le montant du crédit pour couvrir les besoins courants de liquidités. Il ne s’agit que d’un engagement contractuel sur un comportement futur ; de telles assurances ne peuvent pas être vérifiées, même dans le cas d’un crédit normal (consid. 1.9.5).

Il en va de même de la confirmation selon laquelle le preneur de crédit était « substantiellement affecté sur le plan économique ». Il s’agit d’une notion large et sujette à interprétation. De telles atteintes pouvaient être différentes selon les branches. L’art. 3 al. 1 let. c de l’ordonnance sur les cautionnements solidaires liés COVID-19 du 25 mars 2020 ne définit pas la notion de « substantiellement affecté sur le plan économique ». Le texte de la disposition laisse entrevoir d’autres formes d’atteintes autres que la perte du chiffre d’affaires (adverbe « notamment ») ; le lien de causalité entre l’atteinte économique et la pandémie du COVID-19 est très large ; la notion de « substantiellement » (« notevole » en italien et « erheblich » en allemand) laisse la place à une grande marge d’appréciation. La case cochée par le preneur de crédit ne prouvait donc pas un état de fait précis et objectivement établi mais constituait une auto-évaluation par le preneur de crédit qui ne dispose d’aucune valeur probante accrue (consid. 1.9.6).

En définitive, le Tribunal fédéral retient que la condamnation de A. pour l’infraction de faux dans les titres viole le droit fédéral. Le formulaire de demande de crédit COVID-19 est un titre au sens de l’art. 110 al. 4 CP mais ne revêt pas de valeur probante accrue pour le considérer comme un faux intellectuel en ce qui concerne les assurances données par le preneur de crédit qu’il est « substantiellement affecté sur le plan économique par la pandémie du COVID-19, notamment en ce qui concerne son chiffre d’affaires » et qu’il utilisera le montant du crédit pour couvrir ses besoins courants de liquidité.

Cela étant, dans un obiter dictum, le Tribunal fédéral laisse ouverte la question de savoir si l’indication du chiffre d’affaires pourrait revêtir une valeur probante accrue, dès lors qu’en l’espèce cette information n’était pas erronée (consid. 1.9.7). L’on peut regretter que cette question, souvent au cœur des procédures pénales en lien avec les crédits COVID-19, n’ait pas été traitée par le Tribunal fédéral. En effet, cela laisse planer une incertitude malheureuse s’agissant de la possibilité de retenir un faux intellectuel uniquement en relation avec la déclaration émise par le preneur de crédit sur le chiffre d’affaires dont le contenu serait contraire à la vérité. Cela est d’autant plus regrettable que le Tribunal fédéral semble dans une grande partie de son raisonnement retenir que l’intégralité du formulaire de la demande de crédit COVID-19 ne revêt pas de valeur probante accrue, avant d’analyser tout de même la crédibilité accrue de certains des éléments du formulaire, tels que l’atteinte économique substantielle du preneur de crédit ou son engagement à utiliser le montant du crédit pour couvrir les besoins courants de liquidités.

Tout cela restera donc relatif jusqu’au prochain arrêt du Tribunal fédéral portant sur la valeur probante accrue du chiffre d’affaires indiqué par le preneur de crédit dans sa demande de crédit COVID-19.