Si les voies du Seigneur sont impénétrables, les balles qui pénètrent ses icônes sont-elles pour autant impunissables ?

Sanija AMETI, figure de proue du parti politique des Vert’Libéraux suisses, a publié le 8 septembre 2024, sur l’application Instagram, une photo d’elle-même se mettant en scène alors qu’elle tire au pistolet sur l’illustration d’une peinture représentant la Vierge et l’enfant Jésus.

Un déferlement médiatique s’en est alors suivi face à l’indignation suscitée par cette publication : Sanija AMETI a immédiatement perdu son emploi et a dû démissionner de toutes ses fonctions au sein de son parti (une procédure d’exclusion étant en cours), allant jusqu’à devoir être placée sous protection policière.

Mais ce n’est pas tout. Les Jeunes UDC suisses ont décidé de déposer une plainte pénale pour atteinte à la liberté de croyance et des cultes.

Sans égard aux considérations morales, religieuses ou politiques de cette cause, nous esquissons ici la réponse à la question que tout juriste se pose : une infraction pénale est-elle réalisée ? 

L’art. 261 CP, intitulé atteinte à la liberté de croyance et des cultes, dispose ce qui suit : « quiconque, publiquement et de façon vile, offense ou bafoue les convictions d’autrui en matière de croyance, en particulier de croyance en Dieu, ou profane les objets de la vénération religieuse, quiconque empêche méchamment de célébrer ou trouble ou publiquement bafoue un acte cultuel garanti par la Constitution, quiconque, méchamment, profane un lieu ou un objet destiné à un culte ou un acte cultuel garantis par la Constitution, est puni d’une peine pécuniaire ».

Dans la mesure où les faits incriminés ne visaient pas à empêcher la célébration d’un acte cultuel, seules les première et troisième hypothèses pourraient entrer en ligne de compte dans le cas d’espèce.

Bien juridique protégé

A titre liminaire, il y a lieu de préciser que seules les atteintes aux convictions religieuses d’autrui suffisamment graves pour troubler la paix publique peuvent entrer dans le champ d’application de cette disposition (laurent moreillon, in : Commentaire romand du Code pénal II, 1ère éd., 2017, Bâle, n. 8 ad art. 261 CP). L’atteinte à la paix publique ainsi que les convictions religieuses des particuliers font partie des biens juridiques protégés par cet article (moreillon, op. cit., n. 8 et 9 ad art. 261 CP), certains auteurs considérant même que les « croyances » d’un athée sont protégées par cette norme (bernard corboz, Les infractions en droit suisse, Vol. II, 3ème édition, Zurich 2010, N 4 ad art. 261 CP).

Tout individu blessé dans ses convictions religieuses peut donc être une victime directe de cette infraction (moreillon, op. cit., n. 9 ad art. 261 CP). S’il ne fait pas de doute qu’une communauté religieuse dispose de la qualité de lésé (ATF 120 Ia 220 ; gerhard fiolka, Basler Kommentar Strafrecht, 4ème édition, Bâle 2019, N 13 ad art. 261 CP), la question se posera toutefois s’agissant des Jeunes UDC.

L’acte d’offenser ou bafouer publiquement une conviction religieuse

Concernant l’atteinte à la conviction religieuse, l’offense est un jugement de valeurs susceptible de blesser le sentiment religieux des personnes auquel elle s’adresse, tandis que l’action de bafouer caractérise la présentation, de manière ridicule, des convictions religieuses (moreillon, op. cit., n. 15 ad art. 261 CP).

En revanche, la critique, la satire ou la moquerie à l’égard d’une religion ne sont pas visées par l’art. 261 CP (moreillon, op. cit., n. 12 ad art. 261 CP).

L’acte d’offenser ou de bafouer ne doit pas nécessairement être verbal, mais peut être exprimé par écrit, par des images, des dessins, des photographies, des films ou des actes implicites (fiolka, op.cit., N 21 ad art. 261 CP ; ulrich weder, StGB/JStG Kommentar, Zurich 2022, N 5 ad art. 261 CP). Il y a lieu de se fonder sur l’évolution générale des conceptions au moment de l’atteinte pour juger de son caractère offensant (ATF 86 IV 19 ; wolfgang wohlers, Schweizerisches Strafgesetzbuch, Handkommentar, 4ème édition, Zurich 2020, N 3 ad art. 261 CP). L’on vise principalement les actes qui porte atteinte au principe élémentaire de tolérance (ZR 85, 1986, N°44, 111 ; Stefan Trechsel/Hans Vest, Schweizerisches Strafgesetzbuch, Praxiskommentar, 4ème édition, Zurich 2021, N 2 ad art. 261 CP). Il faut aussi exclure l’hypersensibilité de religions fanatiques qui se comportent de manière trop absolue et qui ne peut donc pas être le critère pour évaluer la gravité de l’atteinte (martin schubarth, Delikte gegen den öffentlichen Frieden, Zurich 2007, N 23 ad art. 261 CP). Ainsi, ce qui est déterminant, ce n’est pas le mépris des contenus religieux en soi, mais celui des sentiments des croyants fFiolka, op.cit., N 22 ad art. 261 CP).

Pour que l’acte ait été commis publiquement, il suffit que la prise de position ne soit pas adressée à un cercle privé de destinataires (moreillon, op. cit., n. 16 ad art. 261 CP). En d’autres termes, il convient de considérer comme public tous les propos qui sortent du cadre familial ou du cercle de la famille ou de personnes de confiance (moreillon, op.cit., n. 16 ad art. 261 CP).

L’acte de profanation d’un objet de la vénération religieuse

La profanation des objets de la vénération religieuse touche les objets physiques qui font l’objet d’une vénération religieuse, à savoir le crucifix, l’hostie, les images saintes, les reliques (fiolka, op. cit., 4ème édition, Bâle 2019, N 26 ad art. 261 CP). La profanation vise des actes significatifs exprimant le mépris de l’objet, par exemple l’acte de « salir » un objet (fiolka, op.cit., N 28 ad art. 261 CP). Les objets sont protégés même s’ils n’ont pas un caractère sacré (corboz, Les infractions en droit suisse, Vol. II, 3ème édition, Zurich 2010, N 15 ad art. 261 CP).

L’acte en tant que tel doit être propre à blesser gravement les sentiments d’un adepte moyen de la croyance visée, et l’atteinte doit apparaître comme particulièrement répréhensible (moreillon, op.cit., n. 19 ad art. 261 CP). Il en découle qu’il convient de procéder à une interprétation particulièrement stricte afin de respecter le principe constitutionnel de la liberté d’expression (moreillon, op.cit., n. 19 ad art. 261 CP).

L’élément constitutif subjectif du caractère « vil » ou « méchant »

En sus de l’intention de l’auteur de commettre l’infraction, il est nécessaire que ce dernier agisse de façon vile ou avec méchanceté (moreillon, op.cit., n. 13 ad art. 261 CP).

Le caractère vil ou méchant de l’acte doit traduire un comportement particulièrement méprisable de l’auteur, lequel assène un pur mépris aux convictions religieuses d’autrui (moreillon, op.cit., n. 26 ad art. 261 CP). L’adverbe agir de « façon vile » correspond à l’adverbe « méchamment » (corboz, Les infractions en droit suisse, Vol. II, 3ème édition, Zurich 2010, N 8 ad art. 261 CP). A ce titre, le Tribunal fédéral exige que l’auteur ait la volonté de mépriser le sentiment de piété ou la conscience de blesser autrui dans ce sentiment (arrêt 6B_515/2019 du 11 juin 2019 consid. 1.1.2, en lien avec l’art. 262 CP).

A noter qu’une motion 18.4344 a été déposée le 14 décembre 2018[1] afin d’abolir le délit de blasphème consacré à l’art. 261 CP[2]. Le Conseil fédéral a proposé le rejet de la motion au motif que la disposition pénale n’entre pas en contradiction avec la liberté d’opinion garantie par l’art. 16 de la Constitution fédérale, dès lors qu’elle ne s’applique qu’en cas d’attaque « vile ». Ce par quoi il ne faut pas entendre « n’importe quelle critique, même formulée de manière offensante, provocante ou moqueuse, mais uniquement celle qui vise le mépris et le dénigrement et qui, par sa forme ou son contenu, porte atteinte à l’exigence de tolérance » (ZR 85, 1986, n°44, 111). En outre, la disposition protège le « vivre ensemble » pacifique de toutes les religions, mais aussi le respect des convictions religieuses, nous rappelle le Conseil fédéral, et par voie de conséquence la liberté de conscience et de croyance.

Le cas d’espèce

Dans le cas d’espèce, l’aspect public de la publication ne fait aucun doute dans la mesure où l’image a été publiée sur le compte Instagram de Sanija AMETI.

Il est aussi important de noter que l’objet visé est une reproduction d’un tableau issue d’un catalogue d’une maison de vente aux enchères et non le tableau lui-même. Dans ces circonstances, la question de la profanation d’un « objet de la vénération religieuse » se pose, même s’il s’agit à l’évidence d’une image sainte. A ce titre, la réponse apparaît négative, dès lors que la profanation doit avoir lieu sur le lieu ou l’objet concerné lui-même, et pas seulement sur son illustration ou sur son image (weder, op.cit., N 17 ad art. 261 CP ; trechsel/vest, op.cit., N 6 ad art. 261 CP ; ZR 85 (1986) n°44).

En revanche, toute la problématique réside ici dans la notion d’« offenser», « bafouer » et de « profaner » ainsi que le caractère « vil » de l’atteinte, soit l’élément subjectif de cette infraction.

Le geste de « tirer » sur une représentation religieuse et de montrer ensuite l’image criblée de balles est de nature à être perçue comme offensante, provocante ou insultante, par un certain nombre de croyants, de la même manière que les tirs « salissent » l’image sainte en tant que telle. Cela étant, il n’est pas certain que ce geste puisse être caractérisé comme « vil » ou « méchant ». De la même manière, l’acte en tant que tel ne signifie pas qu’il a pour l’objet le mépris de l’image sainte de la Vierge et de l’enfant Jésus et de ce fait les convictions religieuses. Le déferlement médiatique laisse entendre que l’acte n’est pas anodin, mais le caractère méprisant de l’atteinte ne saurait être considéré comme manifeste. L’on rappellera que l’intéressée aurait déclaré que l’image a uniquement été utilisé comme support à un entraînement au tir. La réponse peut rester indécise et sujette à débats.

Sur le plan subjectif, il y aurait encore lieu de démontrer que Sanija AMETI a agi par mépris et dénigrement des convictions et croyances d’autrui. Du reste, l’infraction doit être interprétée de manière restrictive, afin de ne punir que les actes grossiers portant atteinte à l’exigence de tolérance. Comme indiqué précédemment, l’illustration a uniquement été utilisée comme support à un entraînement de tir, sans que cette illustration ait précisément été choisie pour son caractère religieux.

En définitive, il est à ce stade difficile de tirer des conclusions définitives sur le geste incriminé.

Seule une analyse méticuleuse et précise des éléments objectifs et subjectifs de l’infraction permettra de trancher la question de savoir si l’infraction d’atteinte à la liberté de croyance et des cultes est réalisée.

Reste donc à savoir comment cette affaire, si elle devait emprunter les voies pénales, arrivera à concilier le caractère inébranlable de la foi avec le bénéfice du doute.


[1] https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20184344.

[2] Ironie du sort, cette motion a été déposée les Verts Libéraux, dont est issue Sanija AMETI, parti qui souhaite précisément aujourd’hui son exclusion.