Me Brülhart vous avez la parole :

 

L’avocat n’est pas un philosophe. 

Le philosophe est en quête de vérité, l’avocat quant à lui sait qu’il ne la trouvera pas dans son dossier. 

Mais lorsque la justice tente de se rapprocher de la vérité pour pouvoir consacrer la vérité judiciaire, il sied de se demander quel est le rôle de l’avocat, celui-là même qui est très souvent perçu comme étant le premier obstacle à la vérité. 

Tout d’abord, je crois intimement que la vérité absolue, quasi-divine, n’existe pas. Une affaire pénale, c’est aussi, si ce n’est avant tout, des interprétations de protagonistes. Les sentiments humains, ineffables, sont au cœur des faits. Et si les faits peuvent, en théorie, être décrit objectivement et factuellement, les sentiments eux n’appartiennent qu’à ceux qui souvent se mentent à eux-mêmes. Alors, il s’agit d’un obstacle infranchissable, me semble-t-il, pour que la vérité judiciaire puisse s’aligner sur la vérité nue. 

La vérité doit être une certitude. Si la vérité est incertaine, alors elle n’existe pas. Sans certitude, il ne saurait y avoir de vérité. Et le rôle de l’avocat c’est presque toujours de combattre ces certitudes. Son pire ennemi c’est précisément la certitude. La certitude d’un policier qui posera des questions orientées. La certitude d’un procureur qui requerra avec une conviction inébranlable là où la procédure pénale lui imposerait d’abandonner l’accusation en cas de doute. Mais pire que tout, la certitude d’un juge qui aura rédigé son verdict avant même que le client n’ait pu entrer dans la salle d’audience. 

Mais nous autres avocats en avons pourtant une de certitude : la présomption d’innocence doit rester un principe fondamental au cœur de la justice pénale. Voilà la seule vérité judiciaire qui doit subsister : si doute il y a, il doit profiter à l’accusé. 

Être avocat ce n’est pas être un prêtre, un philosophe ou un moraliste.

C’est être un technicien de la preuve.

Si la “vérité” a été obtenue par une perquisition illégale, elle n’existe pas. Parce que c’est le dévoiement de règles de procédure qui permettrait au contraire de s’éloigner encore davantage de toute forme de vérité. Parce que l’absence de règles claires et précises, c’est le commencement de l’anarchie judiciaire et un laisser passer pour toutes les injustices. 

Si la “vérité” n’est pas prouvée au-delà de tout doute raisonnable, elle devient juridiquement un mensonge. Et souvent, trop souvent malheureusement, l’on oublie qu’il est raisonnable de savoir douter un peu. Je m’étonnerai toujours de ces certitudes qui n’en finissent jamais, moi qui ne cesse de me questionner sur la véritable histoire qui se cache derrière chacune des histoires que je suis amené à côtoyer. 

Mais soyons clairs, défendre, ce n’est pas travestir la réalité.

C’est rappeler à l’État que sa vérité à lui doit être irréprochable pour avoir le droit de priver un homme de liberté. C’est lui rappeler ses règles élémentaires, celles-là mêmes qui nous protègent tous du risque d’erreur judiciaire. 

Parce que oui si les avocats sont si intransigeants avec la présomption d’innocence, c’est parce que la trahir une fois, c’est accepter que chacun d’entre nous puisse devenir le bouc émissaire de demain. L’on oublie trop vite qu’il fût un temps où la justice des hommes, la vérité judiciaire d’hier, brûlait des sorcières. 

Alors, est-ce que je veux la vérité ?

Je veux la preuve. 

Et tant qu’elle n’est pas rapportée dans les règles de l’art, l’accusé n’est pas coupable. 

C’est ça la seule vérité qui compte dans un État de droit.

Et parfois, il m’arrive de me demander pourquoi ceux qui semblent pétris de certitudes me donnent le sentiment de ne pas connaître cette vérité.