Dans un arrêt 6B_1298/2021 et 6B_1310/2021 du 28 septembre 2021, le Tribunal fédéral a eu l’occasion de rappeler que les phénomènes naturels liés au réchauffement climatique ne représentent pas un danger imminent selon l’art. 17 CP, mais aussi de préciser que seuls les comportements qui peuvent avoir une répercussion directe sur le réchauffement climatique et les risques qui y sont liés peuvent être appréciés à la lumière de l’art. 17 CP.

A/         Les faits

En tant que membre d’un collectif, le prévenu a participé à la marche pour le climat, qui a eu lieu à Genève le 13 octobre 2018. A cette occasion, plusieurs manifestants, dont le prévenu et une femme demeurée non identifiée, se sont extraits du cortège et ont maculé de peinture et de tracts la façade du bâtiment d’une banque. De très nombreuses mains, formées de peinture rouge, ont été apposées sur les murs, les rideaux métalliques et les plaques d’identification du bâtiment. Selon les manifestants, ces mains rouges symbolisaient le sang des différentes victimes du réchauffement climatique et l’apposition de celles-ci sur le bâtiment de la banque devait permettre de désigner les coupables. Par cette action, le prévenu et les autres manifestants entendaient amener la banque concernée à réduire ses investissements dans les énergies fossiles. 

Le 20 février 2020, le Tribunal de police du canton de Genève avait reconnu le prévenu coupable de dommages à la propriété (art. 144 CP). Toutefois, l’intéressé a formé appel contre ce jugement et a été acquitté par la Chambre pénale d’appel et de révision de la Cour de justice genevoise. 

Tant le Ministère public que la banque ont porté cette affaire au Tribunal fédéral en concluant à la condamnation du prévenu pour dommages à la propriété.

B/         La motivation de la Cour cantonale 

La Cour cantonale qui a acquitté le prévenu a considéré que celui-ci s’était trouvé dans une situation d’état de nécessité putatif, sous l’emprise d’une erreur de fait.

En substance, la Cour cantonale a considéré ce qui suit :

  • Que l’urgence climatique est une réalité établie scientifiquement, reconnue de longue date et que le réchauffement planétaire met en danger certains des biens individuels les plus précieux du code pénal : la vie, l’intégrité corporelle, la propriété.
  • Que ce risque est actuel et concret, dès lors qu’il était déjà urgent d’agir en 1993 quand bien même aucune manifestation concrète du réchauffement climatique n’était encore perceptible. L’urgence ne peut qu’être qualifiée d’aiguë 25 ans plus tard puisque le risque décrit se matérialise quotidiennement.
  • Que le prévenu « avait agi pour amener la Banque, par ses actes et le dégât d’image qu’il a cherché à lui occasionner, à revoir sa politique d’investissements et à réfléchir à son rôle et à son influence sur les changements climatiques, dans le prolongement des constatations du Conseil fédéral qui soulignait la méconnaissance, par les acteurs financiers, de leur responsabilité dans ce contexte ».
  • Que les actes de l’intéressé étaient de nature à contribuer à réduire le danger présenté par les investissements carbonés de la Banque puisque celle-ci avait fini par prendre la mesure de l’importance de son rôle dans le réchauffement climatique tel que cela ressortait d’un article paru dans le Temps en 2019.
  • Sans se prononcer sur la question de savoir si un autre moyen aurait été apte à écarter le danger causé par la politique d’investissement de la banque sur la vie, la santé et les biens du recourant et de la population en général, la cour cantonale a reconnu
  • Que « dans la situation où se trouvait le recourant au moment des faits, et compte tenu de sa formation, de son activité dans le maraîchage (domaine particulièrement concerné par les impacts des changements climatiques), des informations à sa disposition, notamment des prises de position contradictoires des autorités fédérales, s’est de bonne foi convaincu qu’il n’avait pas d’autre choix que d’agir comme il l’a fait, de façon proportionnée et mesurée, réfléchie, assumée et revendiquée et somme toute avec un résultat concret ».
  • Que, ainsi, à supposer qu’il y aurait eu un autre moyen de parvenir au même résultat, il convenait de retenir que l’intéressé, comme la victime d’un tyran domestique, se trouvait dans une situation d’état de nécessité putatif, sous l’emprise d’une erreur de fait. “

C/         L’analyse juridique du cas d’espèce

Le ministère public et la partie plaignante ont reproché à la Cour cantonale d’avoir fait une mauvaise application de l’art. 17 CP. Selon cette disposition, quiconque commet un acte punissable pour préserver d’un danger imminent et impossible à détourner autrement un bien juridique lui appartenant ou appartenant à un tiers agit de manière licite s’il sauvegarde ainsi des intérêts prépondérants.

Dans sa motivation, le Tribunal fédéral rappelé que l’existence de dangers imminents fondant un état de nécessité avait été admis dans des situations où le péril menaçait l’auteur de manière pressante. Tel a notamment été le cas d’une femme fuyant un époux violent qui venait de lui lancer un couteau et de la menacer de mort si elle ne quittait pas les lieux (ATF 75 IV 49), ou celui d’une femme tyrannisée et martyrisée par son époux qui avait exécuté ce dernier avant qu’il ne mît à exécution les menaces de mort proférées à son endroit considérant que le danger apparaissait en l’occurrence comme brûlant le soir des faits en question (ATF 122 IV 1).

S’agissant plus précisément de la problématique climatique, notre Haute Cour s’est référée à un arrêt récent concernant des activistes du climat. A cette occasion, la notion de danger imminent évoqué à l’art. 17 CP a été précisée en ce sens que l’on peut considérer que les catastrophes naturelles peuvent représenter des dangers imminents si un auteur, constatant qu’un tel événement était sur le point de se produire, doit agir afin de préserver un bien juridique déterminé. Ne peuvent toutefois pas être assimilés à un danger durable et imminent les phénomènes naturels susceptibles de se produire en raison du réchauffement climatique, dès lors que de tels périls pouvaient frapper indistinctement chacun, en tout lieu et en tout temps, sans qu’il soit possible d’identifier un bien juridique spécifiquement menacé. De plus, le Tribunal fédéral avait relevé qu’en voulant protéger toutes les personnes sur le globe de tels dangers, les activistes du climat entendaient défendre un intérêt collectif, à savoir l’environnement, la santé ou le bien-être de la population dans son ensemble, alors que le législateur n’entend protéger, par l’art. 17 CP, que des biens individuels (arrêt 6B_1295/2020 du 26 mai 2021 consid. 2.5 destiné à la publication). 

Dans le cas d’espèce, les juges de Mont-Repos n’ont pas suivi le raisonnement de la Cour cantonale considérant d’une part que la première condition de l’état de nécessité, à savoir l’existence d’un danger imminent au sens de l’art. 17 CP n’était pas réalisée (1) et que, d’autre part, la seconde condition de cette disposition n’était pas non plus réalisée puisque les actes entrepris n’étaient pas propres à réduire les risques évoqués (2). Enfin, ils ont exclu que les agissements du prévenu puissent être protégés par les libertés d’expression et de réunion (3).

1.          La première question à laquelle le Tribunal fédéral a dû répondre est celle de savoir si l’on peut voir dans le réchauffement climatique, respectivement dans les phénomènes naturels qui en découlent un danger imminent au sens de l’art. 17 CP.

Le Tribunal fédéral répond par la négative et rappelle qu’il a récemment jugé, dans un arrêt destiné à la publication, que les phénomènes naturels liés au réchauffement climatique ne représentaient pas un danger imminent au sens de l’art. 17 CP, dans la mesure où ces catastrophes peuvent frapper indistinctement chaque individu, peu importe où il se trouve et n’importe quand, sans que l’on puisse identifier un bien juridiquement menacé (cf. arrêt 6_1295/2020 du 26 mai 2021 consid. 2.5).

2.          Ensuite, notre Haute Cour s’est demandée si les actes entrepris par le prévenu étaient de nature, sinon à écarter, au moins à contribuer à réduire le danger présenté par les investissements carbonés de la banque.

Le Tribunal fédéral a à nouveau répondu par la négative à cette question. Se référant aux différents rapports au dossier et à l’arrêt cantonal, il constate que les investissements des instituts financiers dans les énergies fossiles ne constituent qu’un des nombreux facteurs qui pèsent dans l’équation climatique et que, dans ce contexte, il n’était pas suffisant de démontrer que les agissements du recourant avaient influencé la politique environnementale de la banque lésée puisqu’elle n’est qu’une étape dans une chaîne d’événements envisagés par l’auteur pour combattre le danger imminent. Il aurait bien plutôt fallu démontrer que les agissements du prévenu avaient eu un impact direct sur le réchauffement climatique en tant que tel ou sur les risques qui en découlent. Or, tel n’est manifestement pas le cas puisque le fait d’apposer de la peinture rouge sur le mur d’un bâtiment n’est pas propre à stopper le réchauffement climatique ni réduire les risques liés.

Aux yeux de nos juges fédéraux, les conditions de l’art. 17 CP ne sont pas réalisée et il est exclu de considérer que le prévenu ait pu commettre les faits qui lui sont reprochés dans un état de nécessité, même putatif.  

3.          Enfin, en réponse à l’argument subsidiaire soulevé par le prévenu qui s’est prévalu pour justifier son acte des libertés d’expression et de réunion garanties par les art. 10 et 11 CEDH, ainsi que 16 al. 2 et 22 Cst., le Tribunal fédéral a rappelé que l’art. 11 CEDH ne protège que le droit à la liberté de « réunion pacifique », à l’exclusion des rassemblements au cours desquels les organisateurs ou participants sont animés par des intentions violentes. L’ordre public ne saurait pas tolérer les manifestations militantes comportant des actes illicites tel que des déprédations ou appelant à des violences.

Dans la présente affaire, il a été retenu que maculer de peinture rouge les murs, les rideaux et les plaques métalliques du bâtiment de la banque, lui causant un dommage à la propriété, constituait un acte de violence, soit un acte de vandalisme incompatible avec la liberté d’expression et d’opinion. Par ailleurs, le Tribunal fédéral a refusé de considérer que le prévenu avait exprimé son opinion par le biais d’une œuvre artistique !

C/         Conclusion

La décision du Tribunal fédéral s’inscrit dans la parfaite lignée du récent arrêt de principe concernant des activistes du climat. Elle est conforme à la jurisprudence rendue en matière d’état de nécessité, ainsi qu’à une application stricte de l’art. 17 CP aux seules situations où le danger est non seulement concret et imminent, mais aussi uniquement lorsque l’acte punissable est propre à empêcher ce danger. On peut toutefois se demander si la limitation d’une application de l’état de nécessité aux seules infractions susceptibles de porter atteinte à des biens juridiques individuels – à l’exclusion de biens juridiques collectifs – est encore justifiée ou n’est pas trop restrictive à l’heure des conventions internationales (Protocole de Kyoto, Accord de paris, …)  visant précisément à protéger des biens collectifs tels que la planète, son climat et ses occupants.

Nous ignorons où le réchauffement climatique nous emmènera exactement. Nous savons toutefois qu’en droit pénal suisse les actions menées au nom de cette cause seront finalement jugées par un tribunal qui n’a certes pas les mains vertes, mais momentanément les pieds sur terre lorsqu’il est question d’appliquer le droit fédéral. Combien de temps encore pourra-t-il les y garder avant que la Terre ne se dérobe sous ses pieds ?

A suivre…