Le Tribunal fédéral a souvent eu à examiner les limites de la liberté de parole et de ton de l’avocat en cours d’audience, dans ses écritures ou dans la presse. Un arrêt récent (arrêt 6B_369/2025 du 25 septembre 2025), notre Haute Cour nous rappelle, à nous avocats, quelles sont les conséquences d’un outrepassement de nos prérogatives.
Avant d’y venir, l’on rappellera les considérants d’un arrêt phare de la profession d’avocat (106 Ia 100 consid. 6b, in JdT 1982 I 579ss) :
« L’avocat est “serviteur du droit” et “collaborateur de la justice” dans la mesure où il lui incombe de conseiller et de soutenir les justiciables dans la poursuite de leurs intérêts subjectifs juridiquement protégés. Il assume ainsi une tâche sans laquelle le citoyen ne pourrait très souvent pas faire valoir ses prétentions juridiques et la réalisation de l’ordre juridique serait remise en question de façon toute générale. L’activité de l’avocat prend en outre une importance particulière en procédure pénale. Si l’accusé n’est pas défendu dans les cas relativement graves, il manquerait une condition indispensable à un procès équitable et conforme aux exigences d’un Etat fondé sur le droit. (…). Mais en même temps l’avocat se voit imposer des obligations particulières en rapport avec ces facultés: il est tenu de maintenir la dignité de la profession et d’observer à cet égard les règles écrites et non écrites qui doivent assurer, dans l’intérêt des justiciables et du déroulement correct des institutions judiciaires, la confiance en sa personne et dans le barreau en général (…). Mais les expressions de “serviteur du droit” et de “collaborateur de la justice” ne signifient pas que l’avocat est, comme le juge, tenu de rechercher la vérité objective et la juste application du droit. Sans doute son activité contribue-t-elle à la réalisation du droit objectif : on peut en effet admettre que le juge parviendra d’autant mieux à rendre un jugement objectif que l’avocat aura mieux défendu les intérêts subjectifs opposés. Mais l’avocat n’est pas un organe étatique et pas non plus l’assistant du juge, mais bien le défenseur des intérêts d’une partie et à ce titre il agit unilatéralement en faveur de son mandant. Tel est le cas notamment du défenseur d’un accusé dans un procès pénal. Il lui incombe de s’opposer à l’action pénale de l’Etat et de s’efforcer d’obtenir la libération de son client ou du moins un jugement qui soit le plus clément possible. C’est de cette manière qu’il s’acquitte de sa tâche de collaborateur de la justice. Tandis que la confiance en l’avocat exige — comme on l’a relevé ci-dessus — que ce dernier maintienne son indépendance vis-à-vis de son client, le rôle de l’avocat – tel qu’on vient de le décrire – implique aussi son indépendance vis-à-vis de l’Etat.
L’avocat doit régler son activité non pas en fonction de l’intérêt qu’a l’Etat à la poursuite pénale, mais en fonction de l’intérêt qu’a l’accusé à obtenir un acquittement ou un jugement aussi clément que possible; c’est pourquoi il faut qu’il puisse disposer d’une grande liberté de décision quant au choix des moyens de défense. (…) Il lui est défendu d’utiliser des moyens illégaux et de recourir à des moyens qui iraient à l’encontre du but poursuivi par la procédure (…) ».
A l’égard des parties adverse, le Tribunal fédéral rappelle que « tous les moyens ne sont toutefois pas permis. Un comportement inutilement agressif ne correspond pas à une manière d’exercer la profession avec soin et diligence au sens de l’art. 12 let. a LLCA »(ATF 130 II 270 consid. 3.2.2; arrêt 2C_354/2021 du 24 août 2021 consid. 4.1), « Il doit contribuer à ce que les conflits juridiques se déroulent de manière appropriée et professionnelle et s’abstenir de tenir des propos inutilement blessants » (ATF 131 IV 154 consid. 1.3.2; arrêt 2C_307/2019 du 8 janvier 2020 consid. 5.1.3 et les arrêts cités). « L’avocat n’agit pas dans l’intérêt de son client s’il se livre à des attaques excessives inutiles, susceptibles de durcir les fronts et de conduire à une escalade dans le conflit » (ATF 130 II 270 consid. 3.2.2; arrêts 2C_243/2020 précité consid. 3.5.1; 2C_307/2019 précité consid. 5.1.3 et les arrêts cités). « Dans ses contacts avec la partie adverse, ainsi qu’avec ses représentants, l’avocat doit s’abstenir de prononcer des attaques personnelles, des diffamations ou des allégations injurieuses. S’il peut adopter un comportement énergique et s’exprimer de façon vigoureuse, il ne doit pas pour autant offenser inutilement la partie adverse. Le litige ne doit pas non plus prendre une tournure personnelle entre les représentants des parties. Une telle attitude est de nature à entraver le bon fonctionnement de la justice et, surtout, à mettre en péril la protection efficace des intérêts du client » (cf. ATF 131 IV 154 consid. 1.3.2; arrêt 2C_307/2019 précité consid. 5.1.3 et les arrêts cités).
Ainsi, traiter des inspecteurs de « cow-boys » et leur reprocher de ne pas « toucher le puck » en matière judiciaire avant de traiter l’avocat de la partie adverse de « pantin » ou de « guignol » et de « fils à papa » constitue une violation de l’art. 12 LLCA (arrêt 2C_354/2021 du 24 août 2021 consid. 4.1). En revanche, l’avocat ne se rend pas coupable de diffamation lorsqu’il relate dans la presse les abus sexuels subis par ses clientes, propos potentiellement diffamatoires, dès lors qu’il a établi sa bonne foi (arrêt 7B_2/2022 du 24 octobre 2023). Da la même manière, la diffamation a été exclue lorsque l’avocat, dans le cadre de sa plaidoirie, sous-entend que la partie adverse aurait menti (ATF 118 IV 248).
Dans le cas d’espèce, un avocat des parties plaignantes, en s’adressant à la greffière conduisant l’audience a traité les prévenus de « pervers narcissiques qui [font] des manœuvres, ment[ent] et [ont] commis une extorsion financière ; malades qui devraient se faire expertiser; [et] qui exercent un harcèlement continu envers [s]es clients ». Dans deux courriers subséquents, l’avocat a réitéré les propos attentatoires à l’honneur en traitant à nouveau les prévenus de « pervers narcissiques » et « d’esprits malades (…) fonctionnant sur le mode mensonge et escroquerie » qui « tentent une extorsion par un harcèlement quotidien » La Cour d’appel du Tribunal cantonal vaudois a confirmé la condamnation de l’avocat pour diffamation à 30 jours-amende, à 80 fr. le jour, assortie du sursis et d’un délai d’épreuve de deux ans, ainsi qu’à une amende de 480 fr. (peine privative de liberté de substitution de six jours en cas de non-paiement fautif). Elle a considéré que les propos tenus étaient attentatoires à l’honneur, en refusant d’admettre l’avocat à la preuve libératoire (à savoir la preuve de la vérité ou de sa bonne foi), dès lors que celui-ci s’est exprimé sans motif suffisant pour dire principalement du mal d’autrui. Le Tribunal fédéral a confirmé la motivation de l’arrêt cantonal.
La motivation du Tribunal fédéral est relativement succincte. Cela étant, elle nous rappelle que l’avocat ne dispose d’un « permis de diffamer » et qu’il doit contenir ses critiques dans les limites de l’acceptable.
Le philosophe Arthur Schopenhauer avait élaboré « L’Art d’avoir toujours raison », petit ouvrage publié à titre posthume dans lequel il exposait une série de stratagèmes (38) permettant de l’emporter dans un débat. Parmi ceux-ci, figure l’ultime stratagème : l’argumentum ad personam. Probablement pas placé en dernière position pour rien, il est considéré comme le plus déloyal des stratagèmes et consiste à attaquer la personne elle-même de façon insultante et blessante.
Il faut toutefois savoir que ce stratagème est déployé lorsque l’asymétrie de compétence ou d’argumentation place l’intervenant en position de faiblesse critique face à son adversaire, menaçant la perte imminente du débat. Plutôt que de persister dans un échange factuel et rationnel sur le fond du sujet, la tactique consiste à opérer une déviation intentionnelle : abandonner le sujet initial pour cibler et discréditer la personne même de l’interlocuteur, dans le but de le déstabiliser, le ridiculiser ou miner sa crédibilité et s’assurer ainsi une victoire rhétorique perçue, même si elle est obtenue au prix d’une rupture totale avec la logique et l’objet initial de la discussion.
Ce détournement est une manœuvre de dernier recours pour transformer l’échec argumentatif en succès d’image.
C’est ainsi sans surprise que le Tribunal fédéral, en gardien du temple sacré de la rationalité juridique, nous rappelle à sa façon que ce stratagème n’a pas sa place dans les stratégies de défense de l’avocat.

