Abracadabra !
Dans un arrêt 6B_210/2021 du 24 mars 2022 destiné à publication, le Tribunal fédéral tranche la question éminemment importante de l’exploitabilité des aveux arrachés par un agent infiltré après avoir exercé une pression illicite sur le prévenu, dans le but de contourner le droit de pas s’incriminer soi-même. Dans une décision rare, le Tribunal fédéral déclare inexploitable de tels aveux, ce qui conduit à la confirmation de l’acquittement du recourant faute d’autres moyens de preuves tangibles dans le dossier pénal.
A/ Les faits
Un prévenu est soupçonné d’avoir tué son épouse le 19 octobre 2009 en lui tirant cinq fois dessus à l’aide d’une arme non identifiée. Entendu par les enquêteurs, le prévenu conteste toute implication dans la mort de sa femme.
Le Ministère public décide alors de mettre en œuvre une investigation secrète au sens de l’art. 285a CPP dans laquelle deux agents infiltrés sont engagés.
L’agent infiltré C noue une relation de confiance si proche qu’il convainc le prévenu de se rendre auprès d’une voyante, également agente infiltrée, séance lors de laquelle le prévenu avoue avoir tiré sur son épouse.
Le prévenu est condamné en première instance. Il est toutefois acquitté en deuxième instance au motif que ses aveux prononcés n’étaient pas exploitables.
Le Ministère public recourt au Tribunal fédéral.
B/ En droit
1/ Introduction
Le Tribunal fédéral reconnaît de manière assez évidente que les enquêteurs C et D devaient être qualifiés d’agents infiltrés au sens de l’art. 285a et suivants CPP. Ce point n’était pas contesté. De la même manière, les conditions formelles de l’investigation secrète étaient remplies.
Il est important de rappeler que l’art. 293 al. 1 CPP interdit « à un agent infiltré d’encourager un tiers à commettre des infractions de manière générale ou de l’inciter à commettre des infractions plus graves. Son intervention doit se limiter à la concrétisation d’une décision existante de passer à l’acte ». De même, l’art. 293 al. 4 CPP précise que si « l’agent infiltré a dépassé les limites de la mission autorisée, le juge en tient compte de manière appropriée lors de la fixation de la peine ; il peut également libérer de toute peine la personne ainsi influencée »
Aussi, l’art. 140 al. 1 CPP interdit l’administration de moyens de preuve sous la contrainte, le recours à la force, les menaces, les promesses, la tromperie et les moyens susceptibles de restreindre les facultés intellectuelles ou le libre arbitre. Les preuves qui en seraient issues sont inexploitables (art. 141 al. 1 CPP).
Sachant qu’un agent infiltré agit précisément sous la forme d’une espèce de tromperie puisque sous le couvert d’une autre identité, il agit dans le but d’élucider une infraction. En revanche, le Tribunal fédéral n’a jamais résolu la question de savoir si l’investigation secrète menée par l’utilisation de pressions massives sur le prévenu et en violation du droit du prévenu de ne pas s’incriminer soi-même doivent être réglées par l’application de l’art. 293 al. 4 CPP, soit une prise en compte au moment de la fixation de la peine, ou une application de l’art. 141 al. 1 CPP.
Il revenait ainsi au Tribunal fédéral de trancher deux questions :
1) Les agents infiltrés sont-ils restés dans les limites de leur mission, respectivement ont-ils respecté les droits du prévenu ?
2) Dans le cas contraire, les preuves recueillies de manière illicite sont-elles soumises à l’application l’art. 293 al. 4 CPP ou de l’art. 141 al. 1 CPP ?
2/ Violation par les agents infiltrés du droit du prévenu de ne pas s’incriminer soi-même
a/ Constatations de l’autorité d’appel
L’autorité d’appel cantonale a d’abord considéré que l’art. 293 al. 1 CPP s’appliquait uniquement lorsque l’agent infiltré agit en vue de découvrir des infractions futures. En revanche, cette disposition ne s’applique pas lorsque l’agent infiltré intervient après la commission d’une infraction, dans le but d’obtenir des renseignements ou des aveux, dès lors que cette norme ne donne aucune information sur l’étendue des compétences que doivent revêtir les enquêteurs dans ce domaine ainsi que les limites à ne pas franchir.
Dans le cas d’espèce, les juges cantonaux sont parvenus à la conclusion que les agents infiltrés avaient clairement dépassé les limites de leur mission.
L’intervention de l’agent infiltré C aurait pu être admissible afin de gagner la confiance du prévenu. En revanche, l’investigation secrète a pris une tournure problématique lorsque l’agente infiltrée D est intervenue en tant que « diseuse de bonne aventure ». En l’occurrence, ce n’était pas le prévenu qui, de sa propre initiative, avait sollicité la voyante mais il avait agi sur proposition de l’agent infiltré C, lequel savait que le prévenu croyait aux esprits surnaturels dans la religion musulmane (« djinn ») et s’était déjà adressé par le passé à des fakirs et voyants. En utilisant ses connaissances de l’enquête policière, l’agente infiltrée D a convaincu le prévenu de ses pouvoirs magiques et a exploité de manière ciblée sa peur des forces paranormales. Ainsi, elle a révélé au prévenu l’existence d’un esprit maléfique de sa défunte épouse, qui exercerait une influence négative sur sa vie. Les enquêteurs étaient également totalement conscients de la pression énorme qui pesait sur les épaules du prévenu et de son inquiétude pour sa sécurité et celle de ses enfants. Ils ont en profité pour augmenter la pression sur le prévenu au fil du temps.
L’agente infiltrée D a expliqué au prévenu que l’esprit devenait « plus tenace » (« hartnäckiger ») et l’aurait alerté de l’existence d’un danger concret pour lui. Lors d’une rencontre, l’agente infiltrée D a concrétisé la menace en expliquant qu’elle sentait la présence de l’esprit de la victime dans la pièce, ce dernier exprimant la frustration de l’intéressée de ne pas pouvoir vivre l’adolescence de ses enfants. L’agente infiltrée a continué en annonçant au prévenu qu’elle voyait comment la femme avait été tuée et qui en était le responsable. Elle a orienté la discussion sur le meurtre de l’épouse prétendant voir le pistolet qui a servi comme arme. Dans ces circonstances, le prévenu craqua et assuma la responsabilité dans ce meurtre.
L’agente infiltré D ne se contenta pas des aveux puisqu’elle assura au prévenu qu’elle pouvait le protéger contre le maléfice, durant une semaine uniquement. La cour cantonale a considéré que l’agente infiltrée D avait ainsi maintenu la pression psychique sur le prévenu. En sortant de la séance de voyance, le prévenu a découvert une tache rouge en forme de paume de main sur son véhicule, correspondant à la « bénédiction du sang ». Le prévenu était alors persuadé qu’il s’agissait d’un signe de l’esprit et a perdu son sang-froid. Sur le chemin du retour, l’agent infiltré C, profitant de l’amitié soigneusement construite, a dissipé les derniers doutes du prévenu à l’égard de la voyante et lui a conseillé de se « libérer » (« befreien »). Le prévenu s’est laissé entrainé à d’autres confidences sur les fautes de son épouse et sa propre responsabilité dans sa mort. Le lendemain, le prévenu a fait des aveux complets devant l’agent infiltré C.
La cour cantonale a ainsi considéré que les agents infiltrés, par l’exercice de tromperie, de pressions et de contrainte, n’ont pas seulement créé une situation qui ne ressemblait sans aucune commune mesure ne serait-ce qu’à un interrogatoire de police, mais ils ont aussi profité de la superstition du prévenu pour l’orienter vers l’esprit et la mort de la victime en attisant ses craintes. Aussi, la liberté de décision du prévenu était fortement limitée puisque la supposée voyante ne lui offrait sa protection qu’à la condition qu’il fasse table rase et « ouvre son cœur ». Bien que le prévenu ait déclaré qu’il n’avait aucun lien avec le meurtre de sa femme, l’agente infiltrée D a évoqué l’image du pistolet l’orientant dans une direction précise. Dans ce contexte, les « aveux » du prévenu ne trouvait pas leur origine dans une volonté libre et spontanée. Le droit à un procès équitable, dont le droit de se taire est l’une des composantes tout comme l’interdiction de recueillir des moyens de preuves par la contrainte, les menaces, les promesses, les tromperies ou les moyens susceptibles de restreindre les facultés intellectuelles ou le libre arbitre, ont été gravement violées. L’action des agents infiltrés a largement dépassé les limites de la ruse autorisée (« erlaubter List ») et a servi à contourner le droit du prévenu de ne pas s’incriminer soi-même. Les aveux ainsi récoltés résultaient d’une interdiction d’exploitation au sens de l’art. 141 al. 1 CPP.
b/ Constatations du Tribunal fédéral
Le Tribunal fédéral rappelle tout d’abord le droit du prévenu de ne pas s’incriminer soi-même lui confère le droit de ne pas déposer contre lui-même, le droit de refuser de déposer et de refuser de collaborer à la procédure (art. 113 al. 1, première phrase CPP). Il s’agit d’un droit fondamental ancré à l’art. 14 ch. 3 let. g du Pacte international relatif aux droits civils et politique (Pacte ONU II ; RS. 0.103.2). Une personne accusée d’un acte punissable ne peut être contrainte de témoigner contre soi-même ou de s’avouer coupable (ATF 142 IV 207 consid. 8.2). Ce principe découle directement du droit à un procès-équitable protégé par l’art. 6 ch. 1 CEDH et l’art. 3 CPP et est étroitement lié à la présomption d’innocence (art. 6 ch. 2 CEDH, art. 32 al. 1 Cst. et art. 10 al. 1 CPP) (ATF 142 IV 207 consid. 8.3 et 9.5 ; arrêt CEDH Heaney et McGuiness contre Irlande du 21 décembre 2000,no 34720/97 § 40). C’est à l’autorité de poursuite pénale de prouver la culpabilité du prévenu. Ce dernier n’a pas à prouver son innocence (ATF 127 I 38 ; 6B_1031/2019 du 1er septembre 2020 consid. 1.2.2, non publié in : ATF 146 IV 311). Les autorités pénales doivent par conséquent respecter la volonté du prévenu de garder le silence sur les accusations portées contre lui (ATF 143 I consid. 2.3 ; arrêt CEDH bykov c. Russie du 10 mars 2009, no 4378/01 § 92 ; Allan c. Royaume-Uni du 5 novembre 2002, no 48539/99 § 44) (consid. 2.4 de l’arrêt commenté).
En revanche, notre Haute Cour rappelle que le prévenu est tenu de se soumettre aux mesures de contrainte prévues par la loi, notamment à une investigation secrète. Si l’agent infiltré agit dans le cadre des prescriptions légales, il est autorisé à intervenir pour élucider des infractions déjà commises et pour obtenir des informations correspondantes, même des déclarations auto-incriminantes (ATF 143 I 304 consid. 2.2). Dans ce contexte, l’interdiction de la tromperie au sens de l’art. 140 al. 2 CPP n’est pas pleinement applicable en raison de la nature même de cette mesure d’enquête secrète ce qui a sciemment été pris en compte par le législateur (consid. 2.5.1 de l’arrêt commenté).
C’est ici que se pose les limites à l’investigation secrète, notamment lorsque le prévenu fait usage de son droit de refuser de répondre en cours de procédure. Cette mesure de contrainte ne doit pas servir à contourner ce droit, notamment lorsque l’agent infiltré, profitant de la relation de confiance créée, soumet le prévenu à des questions qui lui ont été posées ou qui auraient dû lui être posées lors d’un interrogatoire, et le presse à déposer. En revanche, il n’y a pas de contournement du droit de refuser de témoigner, poursuit le Tribunal fédéral, lorsque l’agent infiltré se contente de recueillir les déclarations que le prévenu a énoncé de sa propre initiative, sans l’y pousser. Le prévenu ne peut pas s’opposer à ce que des propos qu’il a tenus de sa propre initiative soient recueillis par des tiers et, par conséquent, soient versés dans la procédure pénale (ATF 143 I 304 consid. 2.3 et les références citées) (consid. 2.5.2 de l’arrêt commenté).
Les Juges fédéraux précisent encore que si le prévenu n’a pas refusé de répondre mais a donné des informations sur les accusations portées contre lui, tout en les contestant, la situation juridique n’est pas différente. Le prévenu a le droit de ne pas contribuer à sa propre condamnation (ATF 138 IV 47 consid. 2.6.1 ; ATF 131 IV 36 consid. 3.1). Le droit de ne pas s’incriminer soi-même protège non seulement la liberté du prévenu de décider s’il souhaite faire des déclarations aux autorités pénales, mais également ce qu’il veut déclarer, sous réserve de déclarations qui seraient punissables pour dénonciation calomnieuse (art. 303 CP) et induction de la justice en erreur (art. 304 CP). Le Tribunal fédéral confirme que le prévenu n’est pas soumis une obligation de dire la vérité ; les simples mensonges n’ont pas de conséquence pénale directe. Si le prévenu décide de contester les faits qui lui sont reprochés aux autorités (et donc éventuellement de mentir), cette liberté ne peut être contournée et l’on ne doit pas tenter, par le biais d’une investigation secrète, de le contraindre à faire des déclarations contradictoires et à charge. Un tel procédé constitue un contournement du droit de ne pas s’incriminer soi-même, même si le prévenu n’a pas auparavant fait usage de son droit de refuser de répondre (consid. 2.5.3 de l’arrêt commenté).
Considérant que le Ministère public n’avait pas démontré à satisfaction en quoi les agents infiltrés avaient agi dans les limites de l’admissible ou s’étaient uniquement limités à exploiter l’intérêt du prévenu pour la spiritualité (art. 42 al. 1 LTF), le Tribunal fédéral a confirmé l’appréciation de l’autorité cantonale. Il a en outre rappelé que, selon les constatations cantonales, l’on n’avait pas été en présence d’une simple « prise en charge au niveau spirituel », mais bien d’une pression supplémentaire massive exercée sur le prévenu. Dès lors que les agents infiltrés ont contourné le droit de refuser de déposer, respectivement le droit de ne pas s’incriminer soi-même du prévenu, par une influence excessive, ils ont violé le principe du procès-équitable (« Fairnessgebot ») et l’art. 140 al. 1 CPP. Il reste à clarifier les conséquences de ces violations qui n’ont pas encore été tranchées de manière définitive par le Tribunal fédéral (ATF 143 I 304 consid. 2.4) (consid. 2.7 de l’arrêt commenté).
3/ Conséquences de la violation par les agents infiltrés du droit du prévenu de ne pas s’incriminer soi-même
Le Tribunal fédéral rappelle les dispositions légales applicables et la doctrine. Il précise d’abord que l’art. 293 al. 4 CPP s’applique de manière certaine lorsque l’agent infiltré s’insère dans un milieu criminel, par exemple dans le domaine du trafic de drogue, et qu’il décide la personne visée par la mesure de contrainte à passer à l’acte afin d’élucider des infractions futures. Notre Haute Cour se pose dès lors la question de savoir si cette disposition peut aussi s’appliquer lorsque l’investigation secrète est ordonnée dans le but d’obtenir des déclarations auto-incriminantes sur des infractions déjà commises.
Selon la doctrine, l’art 293 al. 4 CPP est applicable à l’investigation de manière générale, même si elle sert à provoquer des aveux. Le prévenu bénéficie d’une compensation suffisante en cas de violation de ses droits par l’intermédiaire de l’art. 293 al. 4 CPP qui prévoit que le juge doit en tenir compte lors de la fixation de la peine. La doctrine se fonde sur la jurisprudence de la CEDH qui examine uniquement si une procédure est équitable dans son ensemble, y compris la manière dont les preuves ont été recueillies mais ne se prononce pas sur l’admissibilité ou non de certains moyens de preuves (ATF 131 I 272 consid. 3.2.3.3 et les références citées ; arrêts CEDH Akbay et autres c. Allemagne du 15 octobre 2020, no 40495/15 § 109 ; Furcht c. Allemagne du 23 octobre 2014, no 54648/09 § 46 ; Bykov c. Russie, précité, § 89 ; Allan c. Royaume-Uni, précité, § 42). Par ailleurs, l’interdiction de la tromperie est atténuée dans le cadre de l’investigation secrète et se distingue des autres méthodes d’obtention de preuves. Le Tribunal fédéral approuve la doctrine dans la mesure où la tromperie est inhérente à l’investigation secrète et sa légalité n’est pas affectée par des actes de tromperie des agents infiltrés. Par conséquent, le Tribunal fédéral conclut que « si seule l’interdiction de la tromperie est violée, il n’existe pas encore une influence excessive des agents infiltrés, raison pour laquelle la question des conséquences et d’une éventuelle inexploitabilité des preuves recueillies ne se posent pas dans cette hypothèse. La question est plutôt de s’assurer que le mécanisme de compensation prévu par l’art. 293 al. 4 CPP est suffisant au regard du droit à un procès équitable lorsque d’autres composantes de l’art. 140 al. 1 CPP sont touchées ou lorsque d’autres droits du prévenu, notamment le droit de refuser de répondre, ont été minorisés, violés ou contournés » (consid. 2.8.3 de l’arrêt commenté).
Les Juges fédéraux précisent que « l’importance accordée au droit de ne pas s’incriminer soi-même dans le droit à un procès équitable s’oppose à l’applicabilité de l’art. 293 al. 4 CPP à l’interrogatoire qui se déroule lors d’une investigation secrète d’un prévenu pour des infractions déjà commises. Le droit de garder le silence et le droit de ne pas s’incriminer soi-même font partie des normes généralement reconnues et constituent l’essence même du droit au procès équitable garanti par l’art. 6 ch. 1 CEDH (ATF 144 I 242 consi. 1.2.1 ; ATF 143 I 304 consid. 2.3 ; ATF 131 IV 36 consid. 3.1 ; arrêts CEDH Bykov c. Russie, précité § 92 ; Allan c. Grande-Bretagne, précité, § 44). L’intérêt public ne justifie donc pas des mesures qui conduisent à une érosion du principe Nemo tenetur » (consid. 2.8.5 de l’arrêt commenté).
Sans examiner la question de la compatibilité de l’art. 293 al. 4 CPP avec la CEDH, le Tribunal fédéral expose « qu’il est erroné d’appliquer la disposition au-delà de son libellé, au détriment d’un prévenu, à des cas dans lesquels des agents infiltrés ne se sont pas limités à la concrétisation d’une décision existante de passer à l’acte, mais lui ont arraché des déclarations dans une situation similaire à un interrogatoire. Si la compatibilité du texte de la loi avec les garanties de la CEDH est déjà discutable, cela est d’autant plus vrai pour les constellations non expressément réglées par le législateur. La jurisprudence récente de la CEDH fournit donc de solides arguments pour ne pas appliquer l’art. 293 al. 4 CPP » (consid. 2.8.6 de l’arrêt commenté).
Surtout, le Tribunal fédéral reconnaît dans un considérant très intéressant que « la valeur probante des aveux obtenus sous la contrainte est parfois discutable et que leur exploitation peut aller à l’encontre de la recherche de la vérité (…) ; selon le degré de pression exercée, même des innocents peuvent être amenés à s’incriminer pénalement, voire à faire des faux aveux. De même, selon la jurisprudence de la CEDH, le droit de ne pas s’incriminer soi-même doit protéger le prévenu contre une contrainte abusive de la part des autorités et contribue ainsi à éviter des erreurs judiciaires (ATF 131 IV 36 consid. 3.1 et les références citées ; arrêts CEDH Bykov c. Russie, précité, § 92 ; Allan c. Grand-Bretagne, précité, § 44). Par conséquent, le droit de pas s’incriminer soi-même ne sert non seulement à la protection des droits individuels, mais aussi à la protection des intérêts publics en contribuant à la légitimation de la procédure pénale en tant que telle » (consid. 2.8.7 de l’arrêt commenté).
4/ Conclusions du Tribunal fédéral
En définitive, il est acceptable que l’art. 140 CPP subisse certaines restrictions lors d’une investigation secrète, en particulier sous l’angle de l’interdiction de l’utilisation de la tromperie. Cela ne signifie néanmoins pas que les autres composantes de l’art. 140 al. 1 CPP perdent leur validité. Même en cas d’investigation secrète, l’exploitabilité d’un moyen de preuve présuppose que les prescriptions de l’art. 140 CPP soient respectées – à l’exception de l’interdiction de la tromperie. L’investigation secrète ne doit pas être utilisée abusivement pour contourner les articles 140 et 141 al. 1 CPP ainsi que le droit de refuser de répondre en particulier. L’art. 293 al. 4 CPP règle uniquement la procédure à suivre en cas d’influence excessive sur la disposition et la concrétisation à commettre une infraction. Cette disposition ne traite pas des méthodes d’administration des preuves interdites. Si de telles méthodes ont été utilisées ou si le droit de ne pas s’incriminer soi-même ont été violés, l’art. 141 al. 1 CPP est également déterminant dans le cas d’une investigation secrète et une interdiction absolue d’exploiter le moyen de preuve recueillie (consid. 2.8.8 de l’arrêt commenté).
Dans ces circonstances, les aveux du prévenu à l’agent infiltré ne découlent pas de sa volonté autonome et libre mais est le résultat d’une situation de contrainte interne habilement construite par les agents infiltrés, d’une peur alimentée et d’une pression intensifiée de manière constante. Son droit de refuser de répondre a été contourné. Le mode opératoire des agents infiltrés n’est pas compatible avec la garantie d’un procès équitable (art. 6 ch. 1 CEDH) et doit être considéré comme une méthode interdite d’obtention de preuves au sens de l’art. 140 al. 1 CPP. Les aveux du prévenu résultant de l’investigation secrète sont donc inexploitables au sens de l’art. 141 al. 1 CPP.
Dans le cas d’espèce, les autres indices réunis par l’enquête n’étaient aux yeux de l’autorité cantonale et du Tribunal fédéral que des preuves fragmentaires insuffisantes. Même en tenant compte de tous les indices à charge, un scenario alternatif ne peut pas être exclu, raison pour laquelle le prévenu doit être libéré de l’infraction d’assassinat en application du principe in dubio pro reo.
Le recours a donc été rejeté et l’acquittement confirmé !
C/ Conclusion
Cet arrêt a plusieurs mérites. D’abord, celui de poser des limites au « droit à la tromperie » reconnu aux agents infiltrés par l’art. 293 CPP. Puis, celui de rappeler à quel point les aveux d’un prévenu doivent être l’expression d’une volonté libre et autonome. Enfin, celui de nous rassurer quant au fait que les principes nemo tenetur et in dubio pro reo trouvent à s’appliquer concrètement en Suisse !