Dans un arrêt récent destiné à la publication 1B_536/2019, le Tribunal fédéral résout la question du dies a quo d’un recours contre une décision dont l’existence a été communiquée, incidemment, par téléphone.
Il est ici question d’une décision de blocage de comptes bancaires, datée du 30 avril 2019, notifiée par le Ministère public à une banque (tiers participant à la procédure). Cette décision était assortie de l’ordre fait à l’établissement bancaire de garder cette mesure secrète vis-à-vis du titulaire du compte, lequel se trouvait être le prévenu.
Par la suite, soit le 17 juin 2019, le Ministère public s’entretient de manière informelle par téléphone avec le conseil du prévenu. A l’occasion de cette conversation la question du blocage du compte est abordée.
Puis, le 28 juin 2019, le prévenu demande à consulter le dossier auprès du ministère public, ce qu’il n’a obtenu que le 10 juillet 2019. Le 13 juillet 2019, le ministère public libère l’établissement bancaire de son obligation de garder le secret. Un recours à l’encontre de la décision de blocage est ensuite déposé le 19 juillet 2019 par le prévenu.
Statuant sur la recevabilité de ce recours, l’autorité de recours cantonale (St-Gall) le juge irrecevable car tardif. La Cour cantonale considère en effet que l’évocation de la mesure de blocage par téléphone vaut notification (Allo !?#*!!?#*!) et fait courir le délai de recours. En effet, pour le tribunal cantonal, la décision du 30 avril 2019 n’avait certes pas été formellement notifiée au plaignant. Toutefois, lors de la discussion téléphonique informelle du 17 juin 2019, la question du gel du compte avait été abordée, de telle sorte qu’il avait été retenu que dès cette date au plus tard, le prévenu avait eu connaissance de la mesure. Or, ce n’est que le 28 juin 2019 que la défense avait demandé la consultation du dossier. Elle n’avait déposé son recours que le 19 juillet 2019 seulement. Ainsi, selon l’autorité précédente, le recours – dont le délai est de dix jours – était intervenu tardivement.
Recours au Tribunal fédéral, qui – bien entendu – l’admet en rappelant ce qui suit :
L’art. 85 al. 1 CPP prévoit que les autorités pénales utilisent la forme écrite pour leurs communications, sauf disposition contraire. Les séquestres, y compris la confiscation des créances par blocage de comptes selon l’art. 263 al. 1 let d CPP et 266 al. 1 CPP, doivent être ordonnés par écrit et brièvement motivés (art. 263 al. 2 ph. 1 et 266 al. 1 CPP). En cas d’urgence, ils peuvent être ordonnés oralement, mais doivent ensuite être confirmée par écrit (art. 263 al. 2 ph. 2 CPP).
Si une mesure de contrainte doit être ordonnée par écrit et ne doit pas être tenue secrète, une copie de l’ordre et de tout protocole d’exécution est remise aux personnes directement concernées contre accusé de réception (art. 199 CPP). Les notifications sont faites par courrier recommandé ou par d’autres moyens contre accusé de réception (art. 85 al. 2 CPP).
Lorsque le but de la procédure ou un intérêt privé l’exige, la direction de la procédure peut obliger la partie plaignante et d’autres “participants à la procédure” à garder le secret sur la procédure et sur les personnes concernées par celle-ci, mais cette obligation doit être limitée dans le temps (art. 73 al. 2 CPP).
S’agissant d’un blocage de compte bancaire, celui-ci doit donc être ordonné par écrit au travers d’une ordonnance de séquestre et doit être envoyé au titulaire du compte, contre accusé de réception. Toutefois, lorsque la mesure est effectuée à titre de “mesure secrète”, elle n’est par définition pas adressée immédiatement au titulaire du compte, mais doit ensuite lui être communiquée par écrit (art. 80 ch. 2 CPP, art 85 ch. 2 CPP, art. 199 CPP et art. 263 ch. 2 CPP). En effet, pour le Tribunal fédéral, des mesures de contrainte communiquées uniquement par oral seraient de nature à engendrer des difficultés majeures en termes de preuve et créeraient dès lors une insécurité juridique. Ainsi, sur le base de l’art. 384 lit b CPP, le délai commence à courir à compter de la notification écrite de l’ordre de saisie ou de la consultation du dossier.
Ces principes rappelés, le Tribunal fédéral en fait l’application suivante au cas d’espèce :
- L’ordonnance de séquestre n’a pas été notifiée au recourant. La “notification” formelle n’est intervenue que le 10 juillet 2019 à la suite de la demande de consultation du dossier le 28 juin 2019. L’on doit dès lors considérer que le recourant à agi dans les délais en recourant le 19 juillet 2019.
- La conversation téléphonique informelle du 17 juin 2019 ne constitue pas une notification. L’obligation de notification par écrit aurait dû intervenir dès le 13 juin 2019, soit après que le ministère public ait libéré l’établissement bancaire concerné de l’obligation de garder le secret concernant le gel des comptes.
- Il peut tout de même arriver qu’un délai de recours soit déclenché par la connaissance effective de la décision contestée, même si aucune notification formelle n’a eu lieu.
- Toutefois, dans les cas de l’art. 384 lit b CPP, lorsque l’on connaît les personnes directement touchées, une notification formelle de l’ordonnance faisant courir le délai est nécessaire.
- Ainsi, pour le Tribunal fédéral : “Dans tous les cas de l’art. 384 lit. b CPP, si les personnes directement concernées sont suffisamment connues, une notification formelle de l’ordonnance déclenchant le délai de recours doit intervenir. Dans le cas présent, il n’y a pas d’exception au délai légal. Pour le ministère public, il était clairement évident que le recourant, en tant que titulaire du compte, était directement concerné par le gel des comptes litigieux et disposait donc d’un droit de recours. Le seul moyen de faire partir un délai de recours était de signifier formellement l’ordonnance ou d’accorder la consultation du dossier le 10 juillet 2019, ce qui permettrait de déterminer le début du délai conformément aux articles 384 lettre b CPP et 396 ch. 1 CPP. Le fait que la direction de la procédure impose une obligation provisoire de garder le secret à la banque concernée et renonce simultanément de manière provisoire à notifier formellement au titulaire du compte l’ordonnance de mesures de contrainte, soit encore ne communique à ce sujet que par téléphone, ne doit pas avoir pour conséquence de contrecarrer ou d’entraver considérablement le droit de recours du titulaire du compte (art. 393 al. 1 lit. a CPP; voir également l’art. 29a Cst.). Une pratique divergente de l’ancien droit (en particulier du Tribunal pénal fédéral ou du Tribunal fédéral en cas d’entraide judiciaire et avant l’entrée en vigueur du CPP), selon laquelle en cas de blocage de compte, une simple notification de la banque au titulaire du compte pouvait déclencher un délai, a été critiquée à juste titre dans la littérature et corrigée dans la jurisprudence plus récente du Tribunal fédéral (arrêt 1B_210/2014 E, cité plus haut). 5.4 ; voir aussi Guidon, BSK StPO, art. 396 N. 5)” (traduction libre).
Que la communication d’une mesure par téléphone ne constitue pas une notification et ne fasse pas partir de délai relève de l’évidence – sauf pour le tribunal cantonal de St-Gall semble-t-il – et le Tribunal fédéral le rappelle.
Le praticien retiendra en revanche de cet arrêt que sa première consultation d’un dossier comportant d’éventuelles décisions en lien avec des mesures de contrainte qui auraient été tenues secrètes et, partant, non notifiées risque de faire courir un délai de recours.
Il sera donc bien inspiré de procéder rapidement (en moins de 10 jours) et de manière méticuleuse à cette première analyse du dossier dès qu’il en aura pris possession, au risque d’entraîner la déchéance des droits de recours de son client.
A bon entendeur…